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Page:Andre Suares Voyage du Condottiere Vers Venise, 1910.djvu/120

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voyage du condottière

ont besoin qu’on les délivre. Ils ont soif de bien : car, en vérité, ils souffrent de grands maux.

Lentement, rongés par la maladie, ils vont à la file, dans la rue. Les deux maladies du pays sont tares de pauvres. L’une est le mal air, venu des marais ; et l’autre, la pellagre qu’on appelle là-bas le mal de misère, qui vient du maïs gâté, fond de leur nourriture. Je ne puis distinguer, d’abord, les pellagreux des mallarins. Tous, ils portent le masque de la fièvre et les stigmates de l’anémie profonde. Ils sont hâves, verts, défaits. Les lèvres jaunes, les plis du visage marqués d’ocre et de gris, comme au pouce frotté dans la mine de plomb, ils ont la peau de l’argile qui sèche. Beaucoup, qui semblent plus malades et plus ruinés encore, ont du feu sur les joues, au front, aux mains, partout où la peau est nue, des plaques rouges. Je crois voir qu’ils ont perdu leur poil : deux ou trois ont les sourcils pelés ; et plusieurs, un air égaré, comme des fous qui courent après leur rêve.

C’est un peuple souffrant. Dans les rues, longeant les arcades, il coudoie une autre nation rebelle, une tribu aux longs nez fins, transparents, en arête. Là aussi, le ferment juif précipite l’action, levure ardente. Beaucoup d’Israëlites sont fixés à Mantoue, depuis des siècles. Et d’abord, on ne les sépare pas des autres Mantouans : dans toute famille peut-être, il y en eut ou il y en a. Je sais qu’ils sont entrés dans la maison la plus illustre du pays.

On les reconnaît de plus près, on les discerne. Ils ont plus de laideur, et plus de caractère : en sombres fenêtres, des yeux qui frappent ou qui effraient sur des faces jaunes. Mieux nourris, ils ne semblent pas fiévreux comme les autres : la fièvre en eux est des idées plutôt que du mal être. Race étrange et malheureuse, qui oppose l’orgueil au mépris, et qui ne vit encore que