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voyage du condottière

Supérieur à la fortune, il l’est au ridicule. Il a souffert ce qu’il y a de pis : n’être entendu de personne, et la conscience de sa laideur physique. La fatuité, en lui, n’est qu’une armure. Que n’eût-il pas donné pour être beau ? La beauté, c’est le bonheur, étant la santé avec l’amour. Il n’y a de beauté virile qu’à plaire aux femmes. J’imagine que Stendhal, toute sa vie, a envié un bellâtre italien ; et moi aussi, je l’appelle bellâtre par envie. La gloire de la beauté virile éclate en ces jeunes hommes, qu’on rencontre partout de Milan à Florence, et de Venise à Rome, lèvres rouges, l’œil brillant, le teint frais, l’air du bonheur, le corps bien nourri, respirant l’aise et le contentement de soi : tel est le bel amoureux, l’étalon de la société humaine, qui inspire de la fureur ou du dépit aux autres hommes. Nulle part, peut-être, plus qu’en Italie, l’homme de pensée ne paie si cher, par sa laideur ou par l’étrange caractère, le crime d’avoir quelque chose dans la tête.

Un homme qui veut la vie : voilà Stendhal. En tout temps, il cherche la voie où le plus vivre : ou soldat, ou poète, et toujours amant. Pour un tel homme, quelle douleur que la laideur du corps ! Quel désastre, que la vieillesse ! Entraves détestées, chaînes sans évasion, prison perpétuelle que l’on traîne avec soi ! Il fera donc son pays de la terre qui a toujours vingt ans. Milan, où il a aimé d’abord, où il eut sa première maîtresse, sera pour lui la capitale d’amour, le jardin béni de la jeunesse. Jamais il ne s’en lassera. Et, quand il lui faudra quitter cette ville de sa prédilection, quittant la joie d’être jeune, la joie d’être amoureux, la joie même des amours douloureuses, il croira dire adieu à son bonheur.

Il adore la passion, parce qu’il adore la vie. Il croit au bonheur comme un Ancien. Le plaisir est exquis d’ôter à ce visage son