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voyage du condottière

peindre des femmes pieuses et des clercs accomplis. Lui, qui dans la vie ordinaire flairait un hypocrite en tout dévot, il ajoute à ses femmes le sentiment religieux comme une grâce suprême. Toutes, elles sont chrétiennes ou profondément catholiques, plutôt. Il semble, pour Stendhal, que l’amour, dans une femme, ne peut porter tout son fruit de passion, si elle ne va pas à l’église. Entre tous, ce sentiment est italien, avec tous les caprices, avec toutes les démarches et les folles variantes qu’il suppose.

D’ailleurs, mieux que personne, Stendhal admire dans l’Église de Rome un empire, une politique et une suite incomparables. Les papes, pour lui, sont des princes pleins de force et de talent. Il est donc romain, au sens le plus catholique.

La magnifique Italie du moyen âge, voilà le don passionné de Stendhal au monde.

Gœthe et quelques autres ont pensé que « le spirituel Stendhal » leur avait beaucoup pris, sans le dire. Ils n’ont pas soupçonné la grandeur de ce bel esprit. Ils n’ont pas même vu que, pour l’intelligence, si on égale Stendhal, personne ne le passe. Stendhal est un inventeur de caractères, comme il s’en rencontre un ou deux tous les cent ans. Il a créé le roman d’un peuple et d’une race entière.

Pour preuve, je n’en veux que les œuvres du grand Gœthe lui-même. On y voit un Allemand qui se plaît à la conquête de Rome, soigneux de noter toutes les étapes. Son Italie est celle de tout le monde, avec cette part d’extrême fausseté qu’il faut attendre d’un homme pour qui le Moyen Âge latin ne vaut pas un regard, et qui a la répulsion de la vie catholique. Telle est l’illusion du retour à l’antique et la manie des modernes. Stendhal, infiniment plus passionné, prend l’Italie à tous ses âges ; il ne sépare pas en elle l’antique du féodal, ni une époque d’au-