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voyage du condottière

Cà d’Oro, merveille de poésie, voilà le plus charmant palais pour Miranda.

La maison en fleur de pierre est faite pour épouser la vie, et non pour s’en défendre. Elle n’est pas l’asile où l’on s’abrite, le lieu où l’on rentre pour manger et dormir ; mais le palais de fête, qu’on a choisi en sa forme et son ornement, pour y vivre avec bonheur et goûter les voluptés qu’on préfère.

Séjour d’un prince insulaire, palais sans lourdeur et même sans gravité, la Cà d’Oro n’évoque ni la crainte, ni la force, ni le souci jaloux de la retraite : son ordre est celui des fleurs, qui ne semblent si charmantes que pour se plaire à elles-mêmes. Les pierres à jour font penser à une treille de roses, portées sur des iris, dans un cadre de glaïeuls et de lys rouges. La hauteur délicieuse de cette façade sans assises apparentes efface de l’esprit le sens de la pesanteur.

La massive idée du luxe tombe aussi devant la richesse exquise. La Cà d’Oro est un sourire de femme, la maison de la princesse amoureuse. Elle a la gloire de la jeune épouse. Le visage respire la sérénité du bonheur ; et le Grand Canal mire cette douceur sereine. Une gaieté tranquille, la certitude d’être belle, une sorte d’ardeur coquette à séduire, la figure de Miranda est celle de sa maison.

Une grâce aérienne soulève la demeure en dentelles et fait frissonner ses ogives au point de rose, ses rosaces et ses trèfles. La façade respire avec la vague courte ; elle sommeille avec le canal, dans la sieste de midi. Au couchant, la galerie des fenêtres paires s’enflamme d’or incarnat ; et c’est vraiment alors le cœur de la roseraie, en sa douceur brûlante, sous les lèvres du crépuscule. Miranda peut venir au balcon, soit que son amant la tienne par la taille, soit qu’elle le guette pour le repas du soir. Mais surtout, la tendre mélancolie de Prospero est sans