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voyage du condottière

Quel bon peuple bavarde sur le campiello, autour du puits, ou à la porte d’une église. L’air un peu mol, un peu las, les femmes causent avec les enfants et discutent avec les vieux. Elles sont gaies et disertes. Ils sont doux entre eux, et parlent avec agrément. Même dans la colère, ils ont purgé l’humeur brutale. Ils sont polis et câlins. Parce qu’ils veulent plaire, ils ont passé pour fourbes aux yeux des violents. Ils ont le ton naturel et le geste aimable. Ils sont pleins de gentillesse. Jusque dans la misère, on sent qu’ils aiment fort la vie. Ils sont rieurs et spirituels. Ils goûtent le mot qui peint, le trait comique plutôt que le bouffon. Ils ont de la mélancolie sans noirceur. Ils sont ironiques avec indulgence : ils n’ont rien de l’âpreté romaine et marseillaise. Leur journal populaire est riche en facéties ; et même contre les riches, il est sans venin.

Ils sont sociables, et à tout propos se forment en confréries. Ce peuple fin est encore raffiné par la fièvre. Le sang des seigneurs a fait le reste. Ils ont vécu de longs siècles soumis aux patriciens. Leurs filles n’ont pas de gros os. Ils ont le sourire voluptueux. Je leur vois moins de passion que de fougue au plaisir et de tendresse. Ils préfèrent les baisers tranquilles à la frénésie. Ils ont la parole et l’intention tendres. Ils se donnent une quantité de surnoms, tous plaisants et qui moquent, dans ce joli dialecte zézayant, qui multiple les « X », et qui semble l’italien de folles petites filles.

Gourmands de poisson, comme tous les gens de mer, ils font des soupes qui sentent fort la marine. Ils aiment l’anisette, comme ceux d’Espagne ; et même, à présent qu’ils se sont mis à penser sur leur misère, ils ont pris goût pour la boisson. Ils ont des bouges et des assommoirs, qu’une lueur rouge annonce au fond des