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voyage du condottière

fleur première. Les légendes du sang et du sacrifice, les héros les plus mystérieux de l’Ancienne Loi étincellent avec des figures tristes. C’est Abel et l’Agneau ; Abraham, et son fils sous le couteau ; le roi Melchissédec offre le pain et le vin de son office magique, la plus grave énigme de la Bible. Jéthro fait fumer l’encens. Jephté immole sa fille. Comme on rêve, dans cet incendie d’or violet et d’outre-mer ! L’or pétille dans la muraille. Les éclairs de la pourpre déchirent les sombres vêtements. L’émail blanc a les reflets de la cire et du gui. Les parois semblent frémir, comme si le feu des murs et toutes les flammes de la mosaïque brûlaient sous une pellicule de lin ou quelque laiteuse vitre.

Et la cour de Byzance resplendit à Saint-Apollinaire, Théodora avec ses femmes suivantes, Justinien avec ses ministres et ses prêtres. La vie prend une forme étrange ; elle a les attitudes de l’angoisse qui précède l’épilepsie, une roideur trempée de larmes, une tranquillité que taraude la peur. Hommes et femmes, les saintes et les saints, l’empereur et la cruelle impératrice, tous en rang, le visage exsangue, les yeux blancs, la prunelle énorme et ronde, comme s’ils avaient pris de la belladone, tous, sans flancs et sans épaules, les bras tombants, les orbites caves, ils ont l’air rigide d’une attente dans l’antichambre du sépulcre. Et d’abord, on leur trouve la mine de ceux qui vont mourir et qui attendent leur tour en costumes de cérémonie. Pour un peu, on préférerait qu’ils fussent couchés dans la nudité dernière, comme les infortunés qu’on écorche sur les tables de l’hôpital. Mais on sent bien qu’ils vivent : une cruelle sainteté, un songe triste ; des têtes sans pensée ? Non, saturées plutôt d’une pensée unique. Des corps sans chair, et des lèvres minces ; mais sur ces bouches résident les morsures d’un impitoyable désir ; et ces