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voyage du condottière

Théodoric, le barbare conquis et perdu par sa conquête, a subi le charme de Ravenne. On voit son palais dans les mosaïques de Saint-Apollinaire. Et déjà, c’est le monde moderne : on discerne le sens nouveau de la vie à l’abri des murailles. Les tentures sur les portes séparent le souverain de ses sujets. La maison ne donne plus sur la vie publique des anciens ; elle respire un luxe qui leur fut inconnu, un élément de retraite : un désir triste, que la satisfaction ne contente pas ; un besoin, qui n’est pas l’appétit, quelque chose d’inquiet, de mystérieux et d’intime. Théodoric est l’Allemand qui tourne le dos au Nord. Il est touchant, dans sa force qui s’humilie. Il se roidit contre sa race ; il est fin et maladroit ; son œuvre est vaine comme son tombeau : la foudre le frappa, et le sépulcre est vide.

À Saint-Vital s’allume le songe de l’Orient, les perspectives étincelantes sur la vie intérieure. L’ordre clair des anciens, qui est toujours direct, qui aime la ligne droite et la simple géométrie, le cède à un ordre nouveau qui recherche les courbes, les contrastes de la lumière et de l’ombre, toute la profondeur que la courbe engendre et qu’elle implique. Or, la courbe c’est la couleur, et la couleur c’est la musique. La couleur est l’espèce visuelle de la musique.

Des escaliers mêlent les plans et divisent l’espace. Des chapelles rondes varient le jet des murailles ; de longues niches les évident, invitant le regard à la méditation et aux idées verticales de l’attente.

Les mosaïques sont un incendie supérieur. Elles expliquent, comme un livre de gemmes, toute une théologie subtile en flammes colorées, en images immobiles, en symboles taciturnes. Tout le mouvement, toute l’éloquence, toute la vie est désormais dans la couleur. Jamais la mosaïque ne retrouvera l’éclat de cette