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voyage du condottière

élargit les yeux, moins elle reconnaît ce qu’elle semble voir. Elle a le manteau de l’eau qui dort, sur une âme nue comme la vipère, chaude comme la panthère, pareille à un repaire de péchés.

Elle et ses femmes, toutes yeux, toutes lèvres, telles de longues fleurs pâles, qui se fanent déjà, et déjà elles corrompent l’eau du vase, se dressent sur l’ombre dorée, comme des fantômes ; elles ont le port de flamme triste, la longueur vénéneuse des apparitions ; rêvant, elles ont les formes du rêve. Et, l’on sait que leur voix est un enchantement, soit qu’elle roucoule, soit qu’elle haïsse. Leur chair se dévore ; en elles, il est un chant ; et si mortelles au bonheur puissent-elles être, qui les approche n’a plus un regard pour toutes les Glycères et toutes les Rhodopes de l’antiquité.

Blêmes, crépusculaires, décharnés, que veulent-ils pourtant, ces personnages, suspendus entre le ciel et la terre ? Ils ne se roidissent point sous le coup de la Loi. Ils s’abandonnent, plutôt. Ils ne sont plus soumis au destin, ni en lutte héroïque. Leur destin est en eux. La vie intérieure a commencé, et les absorbe. Les formes sont déchues. L’art ne suit plus la nature. La joie n’est plus dans le mouvement, mais dans une certaine émotion cachée. L’immobile symétrie se substitue au rythme des membres et des groupes. L’analyse des gestes semble vaine. La vie n’est plus une onde qui circule dans les muscles. La plante naturelle, si belle en ses moindres traits, est dédaignée. Sous les robes, il n’est plus de jambes ; les bras sont de bois ; les vêtements ne sont plus le miroir du corps qu’ils enveloppent ; mais ils ont de très beaux plis. La statuaire est morte. Et morte l’action. Mais Psyché dans les limbes est au berceau de Ravenne.

À quoi répondent les mouvements, si ce n’est plus aux actes ?