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voyage du condottière

Ils traduisent les états de l’âme qui s’éveille : l’extase, la vision, le remords, l’amoureux espoir du miracle, les surprises de la conscience et ses cruels ennuis. Ce qui est du corps est tombé en enfance ou en décrépitude, peut-être en mépris. Les mains ne sont plus faites pour rien tenir ni rien prendre : étroites, diaphanes, ce sont de tièdes tubéreuses, fleurs de serre, outils de péché et d’oraison.

Ils sont maigres, à l’ordinaire des mystiques. Ils s’entourent de lys et de roses. Les pampres, les lauriers, les rameaux d’or leur font de douces chaînes ; et ils sont indifférents aux fruits. Ils passent, avec dilection, du baiser à la prière. Leurs lèvres murmurent l’imploration dans les caresses ; ils sont pleins de tremblement.

La conscience et le cœur, la folie de la croix et les délires de la luxure, tous retours sur soi-même : combien l’homme s’est approfondi, en se resserrant ! Vous dites qu’il ne pense plus ? qu’il s’hébète dans une idée unique ? Mais attendre, se fixer sur une pensée, c’est la forer jusqu’au sentiment ; et tout y entre. On croit à l’universelle décadence ; et au contraire, la vie muette, dans la profondeur close, engendre la musique et l’amour. Les femmes se font plus belles de l’âme qu’on leur donne ; la Vierge veille derrière les folles passions. Ce n’est pas Rome seulement qui survit au milieu du silence magique : entre les mains du Christ, deux mondes se joignent, l’Italie et l’Orient.

Quel mépris devaient avoir ces fins Ravennates, amateurs de parfums et de belles étoffes, pour les grossiers Barbares, vains et lourds ; le même que nous avons pour d’autres Barbares à nos portes. Et les nôtres sont armés de la science, comme l’étaient de la hache ceux de la Germanie. Eux aussi, parce qu’ils hurlent, qu’ils se vantent et s’agitent, qu’ils nous dégoûtent de toutes