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voyage du condottière

à la guerre, et tu séduis la paix, œil noir qui griffe et qui contemple.

Va ! Jusqu’ici, comme les terrassiers, quand on fonde une ville, déblaient d’abord le sable et la terre meuble, puis ils enfoncent le pic dans les gros os de la mère, ils décousent la craie, le grès, et la roche la plus dure, jusqu’ici tu n’as réduit que les Barbares, et l’Italie même que tu t’es soumise sent encore les boues du Septentrion. Pousse à présent dans le granit romain. Va, entre au cœur de la puissance. La veine du Tibre est ouverte pour toi ; et c’est toi, mon César, qui dois la remplir de sang.

Entre. Va faire le bonheur de la plèbe, malgré elle. Va lui rendre son seul droit, qui est d’être heureuse et de se taire. Ni la plèbe ni les femmes n’ont la parole. C’est l’homme qui doit parler pour elles : c’est lui, le maître, qui leur fait le fils souhaité, le mâle avenir.

Descends de cheval ; passe sur l’autre rive. Il faut prendre possession de la terre avec toute la largeur du pied. Va fermer le Sénat, et le rouvrir quand il aura salué ta présence.

Parais. Et que le silence se fasse parmi les rhéteurs du pouvoir et les philosophes de la République. Et d’abord, tu fermeras la bouche à ceux de ton parti : entre tous, ils te dégoûtent ; tu es le petit neveu de Vénus, tout de même ; et ces gens-là, quand ils parlent pour les rois et pour les dieux, ont l’accent des affranchis. La vermine des auteurs ne te manquera pas, du reste : ils travaillent déjà à leurs épigrammes, ils liment leurs bons mots, dans un coin de Suburre, et ils débouchent leurs sifflets qu’encrasse leur bel esprit de rebut. Ils te guettent ; ils sauront bien dire si tu as perdu une dent, ou si la mèche n’est plus à la mode : ils ont compté tes poils, et leurs cheveux. En avant !