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voyage du condottière
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vements sûrs et larges. Elle est simple avec noblesse ; et sans être ni éteinte ni triste, elle est grave.

Devant les portes, sous les tentes qui enferment une ombre presque violette, les vieilles gens se saluent en causant : ils ont des traits terribles et des manières puériles. À Sainte-Marie, on sonne pour un mort ; mais personne ne s’attriste : chacun prend son parti de la mort pour les autres. Dans l’église, claire, laide et dorée, les femmes prosternées remuent ardemment les lèvres, et des enfants courent ; il y a même un chien. La vapeur d’encens est piquée par les flammes des cierges. Les hommes attendent sous le porche. Ils sont solennels et ridicules. Ils ont par moment une ombre héroïque, et parfois une réalité absurde : je les admire, si je veux ; et si je ne veux plus, ils me donnent à rire. On en rencontre qui feraient de magnifiques assassins : on leur suppose le couteau dans la manche, et la même férocité dans l’âme que sur le visage ; ils ont le front boucané, le nez en coin, le menton en serpe et la peau trois fois cuite. On se raille de soupçonner en eux le crime ; puis, on se rappelle que les meilleurs régicides sortent de ces cantons, ceux dont le poignard, bien poussé de bas en haut, ne manque ni sa reine, ni son homme.

Toute vie, pourtant, paraît heureuse sur les bords de ce lac, que le ciel dédie à l’idylle. Qu’est-ce que le bonheur, pour la plupart des êtres mortels, sinon la certitude de l’amour ? Cette terre est une terre d’amour. Ils ne sont même pas vêtus comme des gens qui pourraient porter le deuil. On dirait qu’ils figurent dans une comédie amoureuse : culottes et guêtres aux jambes, le feutre vert sur la tête, la veste d’ocre aux tons de rouille ou de morille, ils vont monter à l’échelle de cordes ; ils sont équipés pour la vengeance et le rapt. Au bout du compte, ils flânent en espérant l’heure de la soupe. Ils sont trop vifs, hors de propos : mi-