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voyage du condottière

folle de cette folie. Milan tourne, absorbe et n’invente point ; à peine si Milan digère ; tout y est factice, comme le foyer dans une auberge. C’est le luxe, le tumulte et la richesse d’une hôtellerie.

Mais qui voudrait passer sa vie dans une gare ou un marché ? Milan est la ville carrefour.

L’épreuve du Dôme est la première du voyage en Italie. Il resplendit au milieu de l’enfer, une montagne de marbre blanc. Il est énorme et mièvre. On l’appelle dôme, et il n’est fait que d’aiguilles. Église immense, il semble n’être qu’une châsse ou un reliquaire. Il fait penser à l’orfèvre, et non à l’architecte. Prodige de richesse et de faux goût, c’est la vierge du Nord costumée en épousée de Naples : la masse de marbre est taillée en statues, évidée en fenêtres, en rinceaux, en dentelles à jour. Le travail est innombrable et médiocre. On fait pitié aux esprits fins, si on vante le Dôme ; et faute de le vanter, on fait rire les autres. Le fin du fin est tout de même qu’on l’admire, sous prétexte que les artistes font semblant de ne l’admirer pas.

J’accepte que l’art du Nord ait pris cette forme pompeuse et le faste trop éloquent du marbre. Je sens le poids d’une telle fabrique. Je serai sensible aux chiffres qu’on me donne ; et d’ailleurs, cette architecture a du nombre. Mais enfin un tel art est le triomphe de la matière, et par là du mensonge. Le dôme de Milan, je l’appelle une merveille pour des Allemands et des Suisses. Ils n’ont pas mieux chez eux : c’est le pain blanc de leur pain noir. Qui sait même si le souvenir des neiges alpestres et de la glace en aiguilles n’a pas dirigé obscurément le travail de tout ce marbre ? Tant de pointes, de clochetons, et une pauvre flèche. Tant d’espace, et point de grandeur. Par un jour clair, en plein midi, je fuis cette église. Aux heures de cohue,