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voyage du condottière

La Béatrice de Léonard[1] n’est pas si redoutable : tout le monde connaît cette belle petite amoureuse, un peu lente, un peu surprise, et si jeune. Elle a la bouche gonflée des baisers qu’elle reçoit et de ceux qu’elle donne. Elle en attend. Le bout de son nez est gourmand. Elle est neuve, et se plaît à toutes caresses. On devine qu’elle est gaie, qu’elle a l’humeur plaisante et un rire d’enfant. À la naissance de sa gorge frêle, la nudité a une saveur exquise. On sent la tiédeur des seins menus à travers le corsage. Tout le portrait respire une chaleur délicieuse. Léonard de Vinci est le seul Italien qui put donner tant d’esprit, de charme, de finesse aimable à une figure, avec un dessin si fluide et tant de goût dans la couleur.

La Sainte Catherine de Luini.

Luini est le seul peintre lombard. Je ne sais s’il a tant pris de Léonard qu’on veut le dire. Je le vois aussi prodigue d’œuvres que le Vinci en est avare. Sa couleur est aussi claire que celle de Léonard l’est peu. Et quant au sourire de ses femmes, il semble qu’il fut propre aux Milanaises de la Renaissance : le sourire de Florence est plus aigu.

Luini est une femme. Il est doux, amoureux, faible, coquet, élégant, comme elles sont, quand elles veulent plaire. Il a une sorte de poésie romanesque. Il aime d’aimer. Comme il est abondant, on le croit facile ; mais il a toujours le goût délicat. C’est une femme qui chante, comme le Schumann de la peinture : un peu monotone, un peu mignon ; mais la voix italienne est mieux en chair, plus solide et plus heureuse que la voix allemande.

  1. À l’Ambroisienne.