Page:Andreae - Les Noces chymiques, 1928, trad. Auriger.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
LES NOCES CHYMIQUES

compter les Atomes de Démocrite et bien d’autres connaissaient le mouvement perpétuel.

À mon avis, plusieurs avaient une bonne intelligence, mais, pour leur malheur, ils avaient trop bonne opinion d’eux-mêmes. Pour finir, il y en avait un qui voulait tout simplement nous persuader qu’il voyait les valets qui nous servaient, et il aurait discuté longtemps encore, si l’un de ces serveurs invisibles ne lui avait appliqué un soufflet sur sa bouche menteuse, de sorte que, non seulement lui, mais encore bon nombre de ses voisins, devinrent muets comme des souris.

Mais, à ma grande satisfaction, tous ceux que j’estimais, gardaient le silence dans ce bruit ; ils n’élevaient point la voix, car ils se considéraient comme gens inintelligents, incapables de saisir le secret de la nature, dont, au surplus, ils se croyaient tout à fait indignes. Dans ce tumulte, j’aurais presque maudit le jour de mon arrivée en ce lieu, car je voyais avec amertume que les gens méchants et légers étaient comblés d’honneurs, tandis que moi, je ne pouvais rester en paix à mon humble place ; en effet, un de ces scélérats me raillait en me traitant de fou achevé.

Comme j’ignorais qu’il y eût encore une porte par laquelle nous devions passer, je m’imaginais que je resterais ainsi en butte aux railleries et au mépris pendant toute la durée des noces ; je ne pensais cependant pas avoir tellement démérité du fiancé ou de la fiancée et j’estimais qu’ils auraient pu trouver quelqu’un d’autre pour tenir l’emploi de bouffon à leurs noces. Hélas ! c’est à ce manque de résignation que l’inégalité du monde pousse les cœurs simples ; et c’est précisément cette impatience que mon rêve m’avait montrée sous le symbole de la claudication.

Et les vociférations augmentaient de plus en plus. Déjà, certains voulaient nous donner pour vrai des visions forgées de toutes pièces et des songes d’une fausseté évidente.