Page:Angellier - Dans la lumière antique, Le Livre des dialogues, t1, 1905.djvu/40

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Le Vieillard.

Et si le dernier mot de toute ta sagesse
N’est, imprudent enfant, qu’un soupir de détresse,
L’aveu que l’arc-en-ciel d’orgueil et de plaisir,
Que tu voulus poursuivre et que tu crus saisir,
N’est qu’un rayon fugace où se joue une pluie,
Moins beau que le rayon dont l’or prochain essuie
Les gouttes de rosée à l’herbe de ton seuil ;
Si tu ne gardes rien que l’incurable deuil
D’avoir perdu ta vie à poursuivre des rêves
Moins doux que le parfum de l’humble champ de fèves
Où l’abeille s’enivre au bout de ton jardin ;
Si tu n’as dans ton cœur que dégoût et dédain
Pour cet essaim féroce et hideux de chimères,
Qui laissent leur sanie et leurs baves amères
Aux doigts ensanglantés de l’oiseleur hagard ;
Et si tes yeux ternis ramènent leur regard,
Comme vers un refuge, à cet arpent de terre
Que ton départ laissa stérile et solitaire ;
Que te servira-t-il d’avoir toi-même appris
Ce que c’est que l’Amour et quel en est le prix ?
Les risques des anciens nous épargnent les nôtres !
Accepte la sagesse acquise par les autres !