Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

- 109-

Mais que" fait-on alors de l'humour bienveillant et enjoué d'Addison, le meilleur des hommes et un optimiste, de celui du joyeux Steel, de celui du bon Goldsmith, du sensible Sterne, de Charles Lamb, cette âme délicate et candide, de toute une lignée d'écrivains que les Anglais regardent comme les types les plus achevés de l'humour?* Si, avec M. Scherer, on définit, par une conception diamétralement opposée, l'humour comme une plaisanterie sans amertume, « une satire sans fiel », et l'humoriste comme une sorte d'optimiste qui, « au fond, ne trouve pas que tout aille si mal, ni que l'humanité soit si à plaindre, ni qu'il y ait ici- bas que des coquins ou des scélérats ^ », on explique les humoristes bien- veillants, mais que deviennent Swift, Thackeray, Carlyle, les seuls qui soient acceptés par M. Taine ? Si, avec M. Stapfer, dont l'étude sur ce sujet est cependant si remarquable 3, on considère l'humour comme un pessimisme profond dont le principe est « l'idée du néant universel », le mépris de tout, et si l'humoriste est un désabusé qui a jugé que tout n'est qu'une farce, méprise tout, se rit de tout et enveloppe sa désespé- rance d'un sarcasme, que deviennent les humoristes moraux et croyants, les hommes qui, comme Addison, croient au bien, s'y consacrent et font de la raillerie un moyen de conversion ? les hommes tels que Thomas Fuller, Jeremy Taylor *, Bunyan lui-même, qui sont des chrétiens et souvent des humoristes ? N'est-ce pas aussi employer de bien gros mots pour un tour d'esprit qui peut s'exercer sur des portions de la vie humaine aussi bien que sur le problème de la destinée ? Tous les humoristes n'ont pasluSchopenhauer, et tel meneur d'ànes ou colporteur est un humoriste sans s'être fait une métaphysique. Si, d'autre part, on avance, avec Carlyle et Thackeray, que la sensibilité est l'essence de l'humour ^, on est obligé de soutenir que Swift n'a pas d'humour, ou de prétendre qu'il a de la sensi-

1 Lorsque Voltaire introduisait en France le mot humour, il est manifeste que ce mot ne désignait pour lui rien de rude ni de triste : « Les Anglais ont un terme pour signifier cette plaisanterie, ce vrai comique, cette gaieté, cette urbanité, ces saillies qui échappent à un homme sans qu'il s'en doute, et ils rendent cette idée par le mot humour qu'ils prononcent Yumor ». Lettre à l'abbé d'Olive t.

2 Scherer. Etudes sur la Littérature contemporaine, tom VL Article sur Laurence Sterne.

3 On trouvera toute la théorie de M. Stapfer sur l'humour, dans le volume Molière 6t Shakspeare, aux chapitres vi, vu et vm, intitulés: Définitions partielles de l'Humour; Philosophie de l'Humour ; l'Humour dans Shakspeare, Aristophane et Molière. Lire aussi son élude sur Sterne.

4 Voir sur l'humour épars dans les grands ouvrages ecclésiastiques de Fuller : Rééd. Introduction to English Literature, le chapitre : Literature of Wit and Humour, p. 210-11. Le même auteur parle aussi, au même endroit, de » l'humour qui est mélangé au raisonnement de Barrow et à l'éloquence poétique de Jeremy Taylor ». Dans son History of Ëngliah Humour, \eRev. A G. L'Estrange, constatant que » quelques-uns de nos premiers humoristes ont été des ecclésiastiques », consacre un chapitre à trois d'entre eux : Donne, Hall et Fuller, tom 1, chap. v.

5 Thackeray. English Humourists. Swift. — Carlyle. Essay on Jean-Paul Richter. — Voir aussi dans cette direction, Emerson. Letters and social Aims. The comic — et Bain, English Composition and Rhetoric, le chapitre intitulé : The ludicrous, Humour, Wit, p. "74-79.