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d'autres sujets, et promena partout, un peu au hasard, sa féconde intelli- gence et le (lot merveilleux de son improvisation. Pour Wordsworth, dont la nature était plus contenue et plus sérieuse, ce fut une crise terrible. Tout s'effondra en lui. Le rêve lumineux qui avait guidé son âme s'éteignit ; elle fut saisie parles ténèbres. Ce fut le doute, l'abandon désespéré de toute foi, des perplexités infinies et, en dernier lieu, le découragement. C'est une angoisse pareille qui tortura Jouffroy à la suite de cette soirée de décembre oii le voile qui lui dérobait à lui-même sa propre incrédulité fut déchiré et oii il s'aperçut qu'au fond de lui il n'y avait plus rien qui fût debout. L'âme de Wordsworth fut meurtrie d'une semblable chute. Il ne fut tiré de cet abattement que par la douce influence de sa sœur qui le ramena doucement vers la nature dont il devait être le grand poète, où il devait puiser une foi nouvelle et plus sereine dans le progrès, un amour nouveau et plus large de la liberté et de la fraternité humaine. Mais sa guérison demanda plusieurs années de convalescence, tant le dévouement à la Révolution était enraciné en lui, et tant la déception avait été douloureuse ^

L'abandon de leur rêve de liberté universelle ramena Wordsworth et Coleridge vers l'idée nationale un instant sacrifiée à un idéal plus vaste.

commission spéciale [6 floréal an VI de la République). Ce passage porte également sur la violence faite à la Suisse, et on peut dire que l'accent en est de tout point semblable à celui de la strophe de Coleridge, et le développement presque pareil ; « Le système du Directoire n'est pas équivoque pour quiconque a observé sa marche avec quelque atten- tion. C'est de fonder la puissance nationale, moins sur la grandeur réelle de la Répu- blique, que sur l'affaiblissement et la destruction de ses voisins... On peut voir sa conduite envers les petits cantons de la Suisse. Ce n'étoit plus l'olygarchie bernoise, ce n'étoient plus ceux contre lesquels s'élevoient un si grand nombre de griefs. . . ; c'étaient les pauvres enfants de Guillaume Tell, démocrates, pauvres, sans rapport presque avec leurs voisins. N'importe, on veut révolutionner ; en conséquence, la liberté qui les rend heureux depuis cinq cents ans, celte liberté qui faisoit autrefois l'envie des Français, n'est pas celle qu'il leur faut. Cependant cette poignée d'hommes simples, qui depuis trois cents ans ignore les combats, ose résister; leur sang républicain est mêlé à celui des républicains français, non pour défendre en commun les droits sacrés des peuples, mais pour s'égorger les uns les autres.

» O guerre impie ! dans laquelle il semble que le Directoire ait eu pour objet de savoir combien il pouvait immoler, à son caprice, de victimes choisies parmi les hommes libres, les plus pauvres et les plus vertueux ; d'égorger la liberté dans son propre ber- ceau , de punir les rochers helvétiques ponr lui avoir donné le jour. Dignes émules de Guesler, les triumvirs ont voulu aussi exterminer la race de Guillaume Tell ; la mort du tyran a été vengée par eux ; les chefs des familles démocratiques lui ont été offerts en expiation ; ils sont morts en défendant l'entrée de leur petit territoire et la violation de leurs foyers ; leurs troupeaux effrayés ont fui dans le désert; les glaciers ont retenti du cri des orphelins que la faim dévore ; et les sources du Rhin , du Rhône et de l'Adda, ont porté à toutes les mers les larmes des veuves désolées. — Puissent les suites politiques de ces événements n'être jamais fatales à la France. » (p. ^S-TI).

Nous avons cité longuement ce passage parce qu'il est tellement semblable à celui de Coleridge qu'on croirait presque que celui-ci l'avait lu , si l'ode France n'était de février n9T.

1 Voir, sur cette désespérance de Wordsworth, toute la fin du livre xi du Prélude. M. Shairp a bien marqué ce moment, dans son étude sur Wordsworth en son volume : Siudies in Poetry and Philosophy ; mais rien ne vaut les confessions du poète, d'une si profonde et si exacte psychologie.