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Sans doute, on discerne dans cette pièce, sous couleur de plaidoyer général, une défense pour soi-même ; et l'auteur avait besoin de la man- suétude de jugement qu'il réclamait pour tous. Mais qu'est-ce que la lutte contre les préjugés et les abus sinon un front de poussées sur les points où il nous blessent ; seraient-ils jamais détruits s'ils n'étaient combattus par ceux-là qu'ils font souffrir? Il n'en existait pas moins que l'attaque était complète et ouverte, et qu'elle portait sur les endroits vi- taux de la doctrine. Sans le savoir, Burns continuait, dans cette région, le travail entrepris par Hutcheson, et collaborait à une même émancipa- tion. Et, en ce qui regarde Burns particulièrement, il n'en était pas moins vrai que, par la logique et les meilleures aspirations de son esprit, il était sorti graduellement des altercations et des ripostes personnelles pour faire du débat la défense d'une idée généreuse.

Il y avait — nous ne devons pas l'oublier — un certain courage à pro- tester ainsi et cette attitude n'allait pas sans lui attirer quelques chagrins et des ennuis. Chez lui, il trouvait les remontrances et les prières de sa mère, de son frère, ou ces silences qui blâment ^ Dehors, il rencontrait la froideur, l'aversion de beaucoup. Si sa franchise et sa crànerie lui avaient attiré, même dans les rangs du clergé libéral, des amitiés qui compen- saient le scandale des pharisiens, il n'en devait pas moins souffrir dans ses relations, et il pouvait en souffrir dans ses intérêts. Nous verrons que cette hostilité ne fut pas étrangère à une des grandes douleurs de sa vie. Il était de plus exposé, si un hasard avait mal tourné les choses, à être poursuivi et frappé de l'excommunication qui, dans ce pays, mettait un homme aussi sûrement hors de la société qu'au moyen-âge. Il n'était pas d'ailleurs sans s'en rendre compte. Après la fougue et la fièvre de la bataille, il lui venait des appréhensions. Il écrivait à un révérend de ses amis, un modéré de la Nouvelle Lumière :

Ma petite Muse, fatiguée de mainte chanson

Sur les robes et les rabuts et les graves bonnets noirs,

Est devenue tout alarmée , maintenant qu'elle l'a fait ,

De peur qu'ils ne la blâment,

Et qu'ils ne lancent leur saint tonnerre sur elle,

Et qu'ils ne l'analhématisent.

J'avoue que ce fut téméraire et assez imprudent,

Pour moi, pauvre poélaillon rustique.

De me mêler d'une bande si puissante

Qui, s'ils me connaissent,

Peuvent aisément, d'un simple petit mot,

Lâcher l'enfer sur moi.

^ Chambers, tome I, p. 139.