Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 129 -

Cette fuite, cet abandon de Jane eût été une lâcheté. Cette pensée d'ailleurs ne semble avoir été qu'un mauvais éclair. Lockhart raconte que, ainsi que les derniers mots de la lettre le montrent, Burns eut avec sa maîtresse une entrevue. Les prières et les larmes de la pauvre fille vainquirent le serment fait par l'Enfer. « Le résultat de cette entrevue fut ce qu'on pouvait attendre de la tendresse et de la virilité des senti- ments de Burns. Toute crainte de tribulations personnelles céda aussitôt aux pleurs de la femme qu'il aimait^ ». Pour réparer autant qu'il était possible la faute commise et détourner la tempête prévue, il lui donna par écrit une sorte de déclaration de mariage, qui suffit, selon la loi écossaise^, pour constituer un mariage irrégulier, mais parfaitement valide. Avec ce papier, Jane et lui étaient considérés comme mariés ; tout s'arrangeait. Un accident de ce genre était alors trop ordinaire dans les villages de l'Ecosse pour qu'on s'en inquiétât beaucoup : pourvu que le mariage fût au bout de la grossesse, les choses étaient réputées régulières 2.

Mais le drame ne faisait que se compliquer au moment oii on pouvait le croire terminé. L'obstacle vint d'oii on ne l'aurait sûrement pas attendu. William Armour refusa de reconnaître cet engagement et préféra voir sa fille déshonorée plutôtque mariée à celui qui l'avait séduite. Il n'avait jamais aimé Burns et il le voyait de nouveau sur le bord de la misère, sans avenir 3, Burns reconnut qu'il était dénué de ressources. Il offrit d'aller à la Jamaïque chercher à s'en créer, et de revenir dans quelques années reprendre Jane ; les arrangements de cette sorte ne sont pas aussi rares en Angleterre qu'ils peuvent nous le paraître*. Si on n'acceptait pas cette proposition, il offrit de travailler comme un simple ouvrier pour nourrir sa femme et l'enfant attendu. Il ne semble pas qu'il ait songé aux étonnantes poésies entassées dans le tiroir de la petite table de Mossgiel. William Armour futinflexible. Sa conduite a été jugée dure, étroite et précipitée. Peut-être n'est-elle pas sans excuses, ni sans explication. Burns était un gendre fait pour dérouter et effaroucher maint homme plus intelligent que le maître maçon de Mauchline. Il devait lui apparaître comme un mauvais garnement impie, misérable, destiné à toujours l'être et à entraîner sa fille dans son indigence et dans son immoralité.

La décision suprême était suspendue aux lèvres de Jane. Après tout, elle était maîtresse de son choix. Si, avec la profonde tendresse féminine, avec la foi en l'homme qu'elle devait connaître mieux que son père, et

^ Lockhart, Life of Burns, p. 82.

2 R. Chambers, tom 1, p. 23T.

3 Walker. Life of Burns, p. Lvii. ^ Lockhart. Life of Burns, p. 83.

I. 9