Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/182

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Au fur et à mesure que ces bonnes nouvelles affluaient, que les témoignages de la renommée de Robert arrivaient d'endroits plus éloignés, montrant par là qu'elle gagnait le pays, on peut compter qu'une joie grandissait dans la maison. Non pas une surprise ; les siens l'avaient toujours regardé comme un être exceptionnel. Sa mère surtout dut être heureuse et ce baume, après les récentes histoires, venait à point. Non pas tant à cause du bruit : les éloges des étrangers importent peu à l'admiration d'une mère pour son fils ; ils ne la corroborent pas ; elle est au-dessus de ces appuis ; ils la flattent et l'enchantent seulement. Mais dans cette proclamation des mérites extraordinaires de son fils, il se peut qu'il y eût quelque chose qui allât plus avant vers le cœur de la bonne femme, sans qu'elle s'en rendît clairement compte. Ces approba- tions rassuraient et ratifiaient son indulgence pour les erreurs de son garçon. Elles semblaient prendre le parti de sa tendresse contre ces mo- ments oîi elle se demandait s'il était bien excusable. N'est-il pas naturel qu'il y ait un peu d'écarts et de désordre en celui qui, de l'aveu de tout le monde, est en dehors des conditions ordinaires? Cette pensée devait lui être adoucissante. C'était la consolation de maints chagrins muets, la défaite de ces doutes, ombres affreuses, qui se glissent parfois entre une mère et son sang. Et dans Mauchline, dans les environs, l'admiration pour Burns, jusqu'alors indécise et déroutée entre l'étonnement , la curiosité et la critique, prenait pied et se donnait de l'importance. C'était un personnage ; on s'occupait de lui à Edimbourg, dans des livres et dans les journaux. Le vieil Armour devait se gratter l'oreille, perplexe ; et les rigides passer vite quand ils rencontraient le poète ; s'il allait les imprimer et jeter leur nom aux rires du pays !

Quanta lui, ses sentiments se laissent deviner. Lorsqu'il fut sur le point de quitter la petite ferme de Mossgiel, il dut, avec l'habitude qu'il avait de s'examiner et le net discernement qu'il apportait à ces examens, il dut se représenter ces deux années et demie, si pleines d'une confusion où toutes choses étranges étaient mêlées. Quel chemin parcouru depuis qu'il était arrivé à Mossgiel, avec le ferme propos d'être sage et l'inten- tion de devenir un bon fermier ! Comme ces-temps là étaient loin déjà ! Il en était séparé par toute une existence. Quel tourbillon de luttes, de colères, de labeurs, de soucis, d'ivresses ! Quels élans de production ! Quelles douces heures de rêverie et de poésie, faites d'un miel dont ses vers n'étaient que les rayons pressés ! Quels émois, quelles folies 1 Quelles ivresses amoureuses, quelles exaltations délicieuses ou doulou- reuses ! Mais quels regrets, quelles mélancolies, quels remords en pensant à la pauvre Mary ! Puis, quelles ténèbres, quelle épaisse nuit de désespérance et, tout soudainement, quel coup de soleil, dont il était encore ébloui, dont il avait l'éclat dans la figure, vers lequel il allait marcher ! Fût-il jamais une vie faite de plus de coups de surprise et plus