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soûlée d'émotions? Son regard se débattait éperdu, ne sachant oii se reposer, dans ce choc de moments divers, qui se croisaient plus mêlés que les lignes d'un tartan. L'étoffe de ces années était faite ainsi, d'heures claires, grises et noires , bonnes et mauvaises , nobles et basses, tissées ensemble , irrévocablement. Pauvre manteau bigarré qui se détachait , pour jamais , de ses épaules ! Car il lui était impossible de ne pas sentir qu'il laissait derrière lui une portion de sa vie. Adieu les champs, retournés parla charrue, le champ de la Souris et de la Marguerite 1 Adieu le galetas oii il avait écrit ses poèmes ! Adieu le ben oii la Vision lui était apparue ! Elle ne lui avait pas menti. Ils étaient salués à présent ces invisibles rameaux qu'elle lui avait placés sur le front. Mais lui? Avait-il été aussi fidèle à la recommandation qu'elle lui avait faite ? Avait-il préservé, irréprochablement, sa dignité d'homme et gardé son âme droite? Ces derniers mois, tout secoués d'orages sortis de lui-même, qu'avaient-ils produit de comparable aux douze mois précédents ? Hélas ! Mais malgré tout, malgré tout, ces années avaient été actives, joyeuses, fécondes; elles étaient argentées, jusque dans leurs folies mêmes et leurs plus sombres conséquences, par la lumière de la jeunesse.

Une légende s'était formée, par suite d'une erreur mal rectifiée par Currie, que Burns avait fait à pied la route d'Edimbourg. Il y était arrivé si las, si endolori qu'il était resté couché deux jours. La réalité est dans un autre sens aussi intéressante et peut-être plus curieuse. Il fit le chemin à cheval, sur un poney qui lui avait été prêté par un de ses amis, et son voyage, au lieu d'être une marche solitaire et pénible, fut une fête et un triomphe. Il s'éloigna deMauchlinepar Scone etMuirkirk, en remontant le cours de sa rivière favorite l'Ayr, et, franchissant les hau- teurs, redescendit vers la Clyde. Lorsqu'il chevauchait ainsi par les collines et les moors, assombris alors des tristesses de novembre et émus de ses soupirs, il était tout entier à des espérances nouvelles pour lui. Il fredonnait le refrain d'une vieille chanson :

En passant près de Glenap,

Je vis une vieille femme,

Qui m'a dit : « Reprends courage,

Tes meilleurs jours vont venir i. ^

Il avait été convenu que, après le premier jour de sou voyage, qui devait en prendre deux, il passerait la nuit chez un M. Prentice, qui occupait la ferme du domaine de Covington. « Tous les fermiers de la paroisse avaient lu avec délices les ouvrages alors publiés du poète et

1 Lockhart. Life of Burns, p. 103.