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Quelque surprenant que ce fait puisse paraître, il faut l'admettre, se rendre à l'évidence. Tous les témoignages s'accordent, venant des sources les plus diverses. Des esprits critiques, expérimentés dans l'appréciation des hommes, ne font que confirmer ce que nous avons déjà vu de la pro- digieuse puissance de parole de Burns. Ils sont unanimes à le faire et, si cela est possible , ils enchérissent encore sur l'éloge. « Je me rappelle, dit Héron, que feu le D' Robertson me fit un jour l'observation qu'il n'avait presque jamais rencontré d'homme dont la conversation révélât une plus grande vigueur et une plus grande activité d'esprit que celle de Burns ^ » Lockhart, qui avait vécu presque avec tous les person- nages auxquels Burns avait été présenté, rapporte la même impression en termes plus affirmatifs encore. « La poésie de Burns aurait pu lui procurer accès dans ce monde, mais c'étaient les ressources extraordi- naires qu'il déployait dans la conversation, la forte et vigoureuse sagacité de ses observations sur la vie, la splendeur de son esprit et la resplendissante énergie de son éloquence aux moments oii ses sentiments étaient excités, qui le rendirent l'objet d'une admiration sérieuse parmi les maîtres expérimentés dans l'art de la causerie. Il s'en trouvait plusieurs parmi eux qui probablement adoptaient dans leur cœur l'opinion de Newton que « la poésie est une niaiserie ingénieuse ». Adam Smith, par exemple, ne pouvait pas avoir beaucoup de respect, au service d'un travailleur aussi improductif qu'un faiseur de ballades écos- saises ; mais le plus imposant de ces philosophes avait assez à faire pour se maintenir en attitude d'égalité quand il était amené en contact personnel avec la gigantesque intelligence de Burns, et tous ceux dont les impressions sur ce sujet ont été recueillies s'accordent à dire que sa conversation était ce qu'il y a de plus remarquable en lui.^ » Nous verrons s'ajouter à celles-ci d'autres attestations plus importantes peut-être et d'une telle autorité qu'il faut admettre, selon le mot de Ghambers, « que le meilleur de Burns n'a pas été transmis et n'était pas de nature à être transmis à la postérité *. »

Bien que ce succès soit extraordinaire, il n'est pas inexplicable. On peut démêler pourquoi sa conversation devait éclater dans ces salons comme une lumière merveilleuse et déconcertante. La conversation ordinaire, savante, correcte, formaliste, recherchant la forme littéraire des choses, les réunissait selon des rapports et des conflits de mots. Elle était un peu froide, empreinte d'une élégance abstraite. On y trou- vait sans doute de l'observation et de l'humour, surtout, cela est probable, chez les juges, plus en contact avec la vie que les profes-

1 R. Héron. Life of Burns.

2 Lockhart. Life of Burns, p. 118-19.

3 R. Ghambers, tome I, p. li.