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revendiquait pour lui et celle qu'il attribuait aux circonstances : « Je méprise l'affectation de fausse modestie qui cache la satisfaction de soi-même. Que j'aie quelque mérite, je ne le nie pas ; mais je vois, avec de fréquentes angoisses de cœur, que la nouveauté de mon personnage et l'estimable préjugé national de mes compatriotes m'ont élevé à une hauteur tout à fait insoutenable par mes capacités^ ». Il voyait aussi clairement que cette faveur ne pouvait être durable ; il discernait ce qu'elle avait d'éphémère et en envisageait la disparition avec sang-froid. Le 15 Janvier, six semaines après son arrivée, au moment le plus brillant de sa réception, il écrivait à Mrs Duulop une lettre qui, par sa sincérité, sa dignité, et une assez triste prévision de l'avenir, est éloquente. Un homme qui, dans de pareilles circonstances, sentait ainsi, ne manquait pas de hauteur d'âme.

Vous avez crainte que je ne sois grisé par mon succès comme poète ; hélas ! Madame, je me connais et je connais le monde trop bien. Je ne veux pas prendre des airs de modestie affectée ; je suis disi)osé à croire que mes talents méritent quelque attention. Mais dans un âge, dans un pays 1res éclairés, très instruits, quand la poésie est et a été l'étude d'hommes du plus beau génie naturel, aidés de toutes les ressources du savoir, des livres, de la société polie, — être amené, produit à la pleine lumière d'une observation instruite et raffinée, et cela avec toutes les imperfections de ma gauche rusticité et mes rudes idées mal dégrossies sur les épaules, — je vous assure. Madame, que je ne feins pas lorsque je vous dis que j'en ai redouté les consé- quences. La nouveauté d'un poète, placé dans ma situation obscure, dépourvu de tous les avantages que Ton considère comme nécessaires pour l'être, du moins à cette époque-ci, a excité un flot d'attention publique trop partiale, qui m'a porté à une hauteur à laquelle, j'ensuis absolument, sincèrement convaincu, mes talents sont insuffisants pour me maintenir. Avec trop de certitude, j'aperçois le jour où ce même flot m'abandonnera et descendra peut-être aussi loin au-dessous du niveau de la vérité. Je ne parle pas ainsi dans une ridicule affectation de modestie et de dépréciation de moi-même. Je me suis étudié et je sais le terrain que je couvre , quelque grandement qu'un ami ou que le monde diffèrent de moi sur ce point, je persiste dans ma propre opinion, silencieux, résolu, avec toute la ténacité de la conviction. Je vous mentionne ceci une fois pour toutes, pour décharger mon esprit, et je ne désire pas en entendre ou en dire davantage à ce sujet. Mais

Quand de la flère fortune le reflux reculera ,

vous me rendrez témoignage que, lorsque ma bulle de renommée était au plus haut, je restai froid, la coupe enivrante dons ma main, regardant devant moi, avec une triste résolution, vers le moment rapproché, où le coup de la calomnie la brisera sur le sol, avec tout l'emportement de la vengeance triomphante^.

Il y a déjà dans ces belles lignes un arrière-goût de tristesse. Trois semaines plus tard, au commencement de février, il écrit au D' Lawrie, pour répondre aux recommandations faites par celui-ci et qu'on a vues

1 To Dr Moore, 15tli Feb. 1787.

2 To MnDunlop, 15th Jan. 1787.