Aller au contenu

Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 258 —

on repartait en expédition. Ces hommes durs , presque aussi cruels que des Peaux-Rouges ^ vivaient dans la continuelle tension d'énergie, dans la force , la hâte et l'exigence impérieuse de sentiments, et aussi dans la suprématie d'âme, que développe, après tout, le risque même grossier mais continuel de la vie. C'étaient des existences sans poésie, mais oii il y avait des heures intenses et poétiques. On voit ce qu'une pareille condition entraîne d'aventures, de traits de courage, de dangers, de querelles, de luttes entre familles, de vengeances longtemps poursui- vies. Ces querelles, qui tenaient du duel, de l'escarmouche et de l'assas- sinat, n'étaient pas assez importantes pour créer un événement historique. Mais, de temps en temps, il sortait d'elles une de ces tragédies mémo- rables qui vont au fond des cœurs les plus durs y remuer la pitié.

Aussi une quantité incroyable de poésie est née de ces horizons pensifs et de ces événements romanesques. C'est le district poétique de l'Ecosse, à un titre bien plus vrai que le district des lacs ne l'est pour l'Angleterre. Car ici c'est une profusion de poésie anonyme, autochtone, sortie des entrailles mêmes de la terre. Elle a été créée par des centaines de poètes inconnus, enrichie par des milliers de récitations. Elle est vraiment populaire et collective, car, par cette séculaire et innombrable colla- boration, elle contient l'émotion accumulée de ceux qui l'ont écrite et de ceux qui l'ont chantée. Sur tout le pays, elle est répandue. On a dit qu'il n'y a pas, dans cette partie de l'Ecosse, un ruisseau ou une colline qui n'ait sa ballade ou sa chanson ; et cela est vrai à la lettre. Toutes ces rivières , la Tweed , la Gala , la Teviot , la Jed , l'Ettrick, la Yarrow, dont le bruit clair emplit le pays, chantent également dans cette poésie. Chaque vallée, avec son caractère propre, possède sa poésie particulière : la molle et verte vallée de la Tweed a les chansons d'amour caressantes, doucement pastorales et pures; les gorges sauvages autour des sources de la Teviot et de la Reed, les sombres solitudes moussues de la Tarras et de la Liddell sont la scène des plus puissantes et des plus terribles ballades historiques ; les retraites rêveuses de la vallée d'Ettrick ont des chants mystérieux et surnaturels 2. Mais la poésie de toutes ces vallées semble se réunir dans la plus poétique d'elles toutes, dans l'harmonieuse, la triste, la douce, la tendre, la sévère Yarrow. Elle est le sanctuaire de cette région. Et qu'elle est digne de l'être ! Elle a toutes les beautés, le charme méditatif de ses plus faibles pentes, l'austérité de ses deux lacs solitaires, oii le ciel et les collines se reflètent comme en un métal poli^, la terreur des hautes passes qui la séparent

1 Prescott. Essais de Biographie et de Crilique, les chants de l'Ecosse, tom II, p. 64.

2 Voir sur les inspirations différentes selon le caractère des vallées, le chap. xil du livre de Veitch, particulièrement les pages 423-33.

^ Voir une jolie description du lac 8t-Mary, dans l'Introduction au Chant ii de Marinion.