Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/286

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(le mes frères plébéiens (qui peut-être me rejïardaieiit de travers, il y a quelque temps) depuis que je suis revenu chez moi, m'ont presque complètement fait prendre mon esi)^^ce en dégoùl. J'ai aciiclé un Milton de poche et je le porte conlinucUenient avec moi, afin d'étudier les sentiments, l'indomptable magnanimité, fintrépide, inflexible indépendance, l'audace désespérée et le noble déli à la souffrance de ce grand personnage, Salan. Il est vrai que j'ai, pour le moment, un peu d'argenl comp- tant ; mais j'ai peur que l'étoile qui a jusqu'ici versé ses rayons malins et destructeurs de tout dessein, en plein sur mon zénith, j'ai peur, dis-je, que cette funeste planète, dont l'influence est si redoutable pour la tribu des rimeurs, ne soit pas encore sous mon horizon. Le malheur épie le sentier de la vie humaine ; l'âme poétique se trouve misérablement déplacée et incapable dans la voie dos affaires. Ajoutez à cela que d'imprévoyantes folies, de fous caprices, comme autant (Vignes faïui m'entrainant sans cesse hors de la droite ligne du calme et de la mesure, font flotter leurs lueurs trompeuses devant les yeux du [)auvre barde fixés en l'air, jusqu'à ce que, crac ! n il tombe comme Satan, hors de toute esjiérance ». Dieu fasse que ceci puisse être une fausse peinture en ce qui me concerne ; mais si cela n'était pas, Je compterais peu sur le genre humain. Je veux clore ma lettre par le tribut que mon cœur me conseille de vous donner. Les nombreux liens de relations et d'amitié que j'ai ou crois avoir dans la vie, je les ai làtés d'un bout à l'autre, et, maudits soieul-ils, ils sont piesque tous d'une contexlure si fragile que je suis presque siir qu'ils ne résis- teraient pas au souffle de la moindre brise de fortune adverse i. »

Quel langage est-ce là? Qu'il sonne étrangement ! Byron n'a rien de plus byronien, rien de plus arrogant et ténébreux. Au point de vue littéraire, cette page est même une curiosité : on dirait un avant-coureur de la littérature sulfureuse, du ricanement sardonique et satanique. Mais ce n'est pas ce côté extérieur qui importe ici. Eh quoi ! Pas un mot de la joie du retour, pas un signe d'attendrissement pour les siens, les amis retrouvés, les lieux mêmes revisités? Rien que de la dureté et du dénigrement ! Et pour quelle cause cette attitude d'archange foudroyé, pourquoi tout ce fracas de révolte? Parce que quelques paysans, éblouis par sa gloire, lui ont montré trop de prévenance? Futile, ridicule, presque haïssable excuse ! Qu'est-ce que cette nouvelle façon de se ravilir à la mesure d'aulrui ? A quelle faiblesse est abandonné le cœur qui dépend de la conduite des autres et qui attend leur bonté pour avoir la sienne? 13urns n'était pas habitué jusqu'à présenta prendre son mot d'ordre ailleurs qu'en lui-même. Combien valaient mieux les affolements de l'année dernière ! Il était malheureux alors ; sa colère du moins s'en prenait à des faits, ses iiuprécalions s'adressaient à la cruauté du destin. Ah ! Pauvre Robert Burns ! Pauvre ami! quel chemin tu as fait vers le découragement, vers l'aridité du cœur ! Tu produis l'amertume dont tu es empoisonné; cette ivraie de haine et de mépris sort de toi. Ce mécontentement des autres est le mécontentement de toi-même. « Tu bois l'eau de la citerne » dit la Bible. Ton âme naguère était plus mâle

1 To William Nicol, ISth June, 1787.