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et plus saine, elle est malade maintenant et presque méchante. Tu vois bien, tu vois qu'il y a souvent des bienfaits dans la pauvreté, qu'il ne fallait pas regretter les jours misérables, que la Vision avait raison ! Tu es monté en honneurs, en biens ; tu es un des hommes célèbres de ton pays et voilà ce que contient ton cœur ! Hélas ! Que la fortune fausse d'âmes en y tombant ! Que de vases se fendent quand des pièces d'or y sont jetées !

Cette explosion a stupéfié et déconcerté les biographes de Burns. Quelques-uns n'en parlent pas. Carlyle, si pénétrant d'ordinaire et si ferme à saisir les instants révélateurs, n'en fait pas mention. D'autres s'y arrêtent, s'en étonnent et avouent leur impuissance à l'expliquer. « A ce moment précis, dit Alexandre Smith, il est assez difficile de com- prendre d'où venait cette amertune qui monte et sourd dans presque chaque lettre que Burns écrivait ^» — «Il y a peu de lettres, dit Lockhart, où plus des endroits obscurs de son caractère apparaissent^. » Et Chambers, en désespoir de cause, s'embarrasse en une explication vide, énoncée dans la phraséologie un peu prud'hommesqiie qui lui est familière; car c'était un très digne homme : « mais on aurait peut-être tort de discuter cette lettre, comme autre chose que l'effusion d'une colère transitoire d'âme , provenant de circonstances accidentelles et passagères 3. » Il oublie qu'il n'y a pas une, mais deux lettres, écrites à deux personnes, à assez long intervalle, qu'il y a dans chacune d'elles un accent qui suffirait, et que d'ailleurs le fait d'avoir acheté et de porter avec soi le Milton indique bien une situation d'esprit persistante. C'est précisément ce fait qui donne à ces lettres leur gravité et empêche qu'elles ne soient prises pour des boutades. Seul, Gilfillan, dont la vue psychologique a quelquefois une franchise et une décision particulières, a entrevu l'importance de ce moment et a essayé d'en deviner les causes. Ce n'est pas le seul cas, dans la biographie de Burns, où il se trouve presque seul à toucher courageusement un endroit douloureux ^.

Il n'est pourtant pas difficile de comprendre que le retour à Mauchline n'était que le choc qui révélait une longue altération, et que cette âme avait été profondément détériorée par son séjour à Edimbourg. Pendant une demi-année, il avait vécu d'une vie oisive et usante à la fois. Il avait voulu paraître tout ce qu'il était, à heures fixes et presque sans repos. Sous cet effort, il avait trouvé la fatigue, la satiété, le mécontentement de soi-même et des autres, parce qu'il avait rencontré ce grand chagrin très funeste, d'être dissatisfait et humilié de sa situation. Pendant ces

1 Alexander Smith, Lifo of Burns , p. 20. ^ Lockhart , Life of Burns , p. 149,

3 R. Chambers, tome II, p. 92.

4 Gilfillan, Life of Burns , p. xlvi.