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barre l'horizon du côté du Nord, une vaste plaine s'étend, unie et riche, au milieu de laquelle le Forth coule avec de grands méandres lumineux, formant une suite de péninsules vertes qui entrent les unes dans les autres et alternent de chaque côté du fleuve. Au dire des voyageurs, c'est un des plus beaux paysages qu'il y ait en Europe ; c'est sûrement un des plus nobles qu'il soit possible de concevoir. Les lignes en sont si calmes et si imposantes , les sinuosités du fleuve sont si majestueuses, les montagnes, dans leur contour ample el sérieux et leur couleur d'un azur foncé admirable, sont si solennelles, qu'on dirait un grand paysage histo- rique, dessiné par un maître aussi fier et grave que Poussin et plus puis- sant que lui, pour servir de théâtre à de grandes actions humaines. Et en vérité c'est ici le sol épique et héroïque de l'Ecosse. Sans parler de Ban- nockburn, voilà l'endroit oii fut le vieux pont de bois près duquel Wallace écrasa l'armée anglaise el sauva son pays. Les noms des deux grands défenseurs de l'Ecosse sont là réunis. Qu'on se rappelle les lectures d'enfance de Uurns, et ce (ju'il en dit : « la vie de Wallace versa dans mes veines une passion écossaise qui y bouillonnera jusqu'à ce que les écluses de la vie se ferment dans le repos éternel, » et qu'on imagine son enthousiasme, lorsqu'il salua ces lieux pleins de la mémoire de son héros ^ Il contemplait ce tableau admirable, au moment du jour où il prend toute sa majesté, sous un de ces couchers de soleil qui sont la magnificence de l'Ecosse. Quand une lumière incarnate, en même temps légère et profonde, s'épanche du ciel et, tout en laissant aux objets leur fond de couleur, les rassemble dans une même nuance et en simplifie les lignes agrandies, le merveilleux paysage s'harmonise encore davantage et reçoit une beauté auguste. Il revêt alors, tant il se spiritualise en un accord et une unité supérieurs, une expression presque uniquement morale, une noblesse, un prestige, qui inspirent une sorte de respect. Ce n'est plus une suite de montagnes et de terrains , c'est le décor solennel et l'apothéose des souvenirs qui s'élèvent de cette plaine. C'est un moment inoubliable , et il est certain que Burns y assista : « Je reviens juste à l'instant du château de Stirling, j'ai vu, par le soleil couchant, la perspective magnifique des détours du Forth qui traverse la riche plaine de Stirling et borde la plaine de Falkirk également riche ^. » Bien qu'il n'ait pas pu lire ce spectacle avec la précision de notation que nous, de ce temps-ci, y apportons, il est impossible , dans l'état d'esprit oîi il était, qu'il n'en ait pas ressenti la grandeur.

Cette journée, avec Bannockburn le matin et Stirling le soir, était trop pour lui. Il redescendit du château, ivre de ce singulier patriotisme

1 II avait songé et songeait peut-être encore à écrire un poème sur Wallace. Voir la leare To Mrs Dunlop. 15tli Jan. n87.

2 To Robert Muir, 26th Aug, HST.