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comme prudent qu'une séparation intervint * ». Comme ces histoires du cœur se ressemblent au fond ! Ce sont, presque dans les mêmes mots, les mêmes phases douloureuses de désabusement que raconte une femme qui en souffrit et en a noté les crises avec franchise. Depuis la prefïiière parole inquiète : « il est bien dommage que sur certaines choses, mon mari et moi nous pensions si différemment 2», jusqu'au dernier cri : « toute illusion est détruite, le bandeau est déchiré 3» ce sont les angoisses que traversa M""^ d'Epinay. Il est probable que les deux époux eurent des torts , comme il arrive généralement. Mais les fautes d'Agnes Craig provenaient d'un manque d'expérience, et celles de son mari d'un défaut de nature. Lui-même semble avoir reconnu qu'il avait été coupable ; il lui écrivait plus tard : a je regrette sincèrement ces incidents de ma conduite envers vous qui ont causé notre séparation. S'il était possible de les effacer, ils ne se renouvelleraient jamais* ».

La séparation était venue avec ses émotions, ses anxiétés, ses lenteurs et ces scènes cruelles, ces tentatives du mari qui , par instants, est mordu du regret d'un bonheur gaspillé , se retourne vers des souvenirs chers , voit ce qu'il a perdu et, sous les colères et les emportements, est ressaisi par des liens profonds, des joies, des impressions, qui ne veulent pas mourir. Ce sont alors des supplications pour obtenir une entrevue qui doit être la dernière et dont on espère qu'elle en amènera d'autres. « Demain matin, je quitte ce pays pour toujours, c'est pourquoi, je souhaite beaucoup être un quart d'heure avec vous , ma très chère Nancy, c'est la dernière soirée probablement où vous aurez jamais une occasion de me voir dans ce monde *.» Ce sont ces appels à la pitié dans la forme tragique qu'ils prennent volontiers , et le retour de ces appella- tions caressantes et familières qui veulent faire plaider le passé. Et ce sont encore les refus de la femme, émue malgré tout par cette évocation des premières tendresses et des jours où elle crut être heureuse, prise de compassion , troublée par ces cris qui peuvent être sincères , hésitante. « Je consultai mes amis ; ils me déconseillèrent de le voir, et comme je pensais qu'il n'en pouvait sortir aucun bien, je déclinai cette entrevue *.» Le plus poignant épisode peut-être des séparations , la lutte pour les enfants, n'avait pas fait défaut. M. Mac Lehose, croyant ainsi réduire leur mère, les lui avait enlevés ; il comptait que pour les ravoir elle céderait et reviendrait à lui. Elle avait tenu bon. Et lui, vaincu sur ce point et incapable de les élever , les lui avait rendus. Mais qui peut dire les transes et les déchirements de pareilles épreuves ? Après la séparation,

1 Memoir of Mrs Mac Lehose^ p. 17-18.

2 Mémoires de M"^" d'Épinay, t. 1, p. 66.

3 M., t. I, p. 91.

  • Memoir of iW" Mac Lehose, p. 20.