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pour être une excellenle épouse, faite pour une vie régulière et un bonheur tranquille. Elle était née pour être heureuse et rendre heureux, si elle avait été placée dans des conditions normales. Mais quand certains sentiments capitaux ne reçoivent pas un minimum de satisftiction, ils s'exaspèrent ; ils deviennent des révoltés. Cette disette les pousse plus loin qu'ils n'auraient jamais rêvé d'aller, et des natures qu'un peu de contentement eût gardées paisibles, deviennent capables de violence. La moitié des excès de passion est produite par le manque d'un peu de bonheur, à l'heure voulue.

Au moment où nous la rencontrons, elle vivait à Edimbourg dans une situation assez délicate et assez difficile. Sa jeunesse et sa beauté rendaient plus dangereuse cette vie de femme isolée. Elle était pauvre en même temps. Ses faibles revenus ne lui suffisaient pas pour élever ses enfants. Elle avait reçu, pendant quelque temps, huit livres de la corporation des chirur- giens de Glasgow, probablement en souvenir de son père, et dix livres de celle des gens de loi, à laquelle avait appartenu son mari. Mais ces secours lui avaient été retirés parce que M' MacLehose, prospérant à la Jamaïque, était en état d'élever ses enfants. M"" Mac Lehose n'y songeait guère et sa femme se trouvait au bord de la gène. Heureusement elle avait un ami dévoué. Son cousin Craig , avocat, homme instruit et distingué, un des collaborateurs de Mackenzie au Miroir, lui venait en aide , avec une délicatesse presque touchante. Il en était silencieusement épris, il continua à l'aimer et à veiller sur elle toute sa vie, sans être aimé en retour. Ce fut l'ami dévoué et sacrifié qui se trouve dans la vie de tant de femmes. Il passe, dans un coin de cette histoire, comme une figure sympathique.

En même temps, elle traversait, depuis longtemps déjà, une crise intérieure, d'ailleurs inévitable. A la suite de sa séparation, la nouveauté du malheur, le besoin de repos qui suit des scènes cruelles, les difficultés matérielles de l'existence l'avaient d'abord absorbée. Mais elle avait vingt-quatre ans. La vivacité de ses sentiments s'était réveillée peu à peu. Son cœur avait senti un vide , une tristesse. Bien qu'elle ne fût pas d'une nature très poétique, elle s'était tournée vers la poésie. Elle essayait de se tromper avec des vers, comme on le fait avec la musique qui , devenue plus riche, plus expressive et plus précise, a pris, de nos jours, pour beaucoup d'âmes souffrantes, la place de la poésie. Ce besoin d'aimer ne trouvant pas d'issue , était retombé en mélancolie. Le désœuvrement de son cœur laissait place à des rêveries. Elle se disait , dans ses promenades écartées, qu'il est cruel de ne pas aimer, ce qui est bien près de se dire qu'il est doux d'aimer. « Sa première composition, était « des paroles à un merle » qu'elle avait entendu chanter, sur un arbre, près de l'endroit où le couvent de Ste-Marguerite a été depuis