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et que l'amitié est un vase que l'amour fait éclater. Mais elle flattait de celt(! fantaisie ses heures oisives et inquiètes. Elle était arrivée à ce momeut oii une femme est toute prête à se laisser aimer parce qu'elle est toute prête à aimer.

Quanta Burus, il était aussi dans un singulier état d'esprit, mais en sens inverse. Il traversait lui-même une crise non d'aspiration mais de décrois- sement. Il était venu à un point où un homme tel que lui commence à sentir décroître le pouvoir qu'il a eu sur les femmes. Quelque chose l'a averti que l'assurance et l'entreprenante familiarité de la jeunesse ne lui siéent plus, parce qu'il n'a plus la gaîté et la souplesse qui les rachètent si elles échouent. Ce qu'il dit a maintenant trop de poids, ne se prend plus enjeu. Il s'aperçoit vaguement qu'un intervalle s'est établi entre lui et la beauté riante, et qu'il lui semble grave. Il en conçoit une sorte de timidité, de défiance de soi-même et de dépit, qui mènent à l'ironie. Tout cela est bien avoué dans ce qu'il disait de lui-même :

Ma rh(^torique semble avoir tout à fait perdu son effet sur l'aimable moitié du genre humain. J'ai connu le temps où. . . mais cela est une » histoire du temps jadis ». En conscience, je crois que mon cœur a été si souvent en feu qu'il est absolument vitrifié. Je contemple le sexe, avec quelque chose q^iii ressemble à l'admiralion avec laquelle je regarde le ciel étoile par une glaciale nuit de Décembre. J'admire la beauté de l'œuvre du Créateur ; je suis séduit par l'étrange el gracieuse excentricité de leurs mouvements et — je leur souhaite bonne nuit. Je parle ainsi par rapport à une certaine passion dont j'ai eu l'honneur d'être un misérable esclave i.

Il avait abusé de son cœur et avait usé certaines façons d'aimer. Mais il ne les avait pas épuisées toutes. Il devait renoncer à l'amour qui a la grâce des années légères. Il était trop triste désormais pour le goûter, et trop inquiétant pour l'inspirer. Mais il pouvait connaître celui des âmes endolories et expérimentées, qui se recherchent pour panser réciproque- ment leurs souffrances ; l'amour sans allégresse, qui souffre de la perspi- cacité que lui a apprise la vie, mais qui connaît l'âpre orgueil ou la joie très douce de vaincre ou de guérir le passé, dans un cœur où le passé a laissé des trophées ou des blessures. Il faut, pour posséder tout le triomphe ou toute la mansuétude de cette forme tardive de l'amour, une âme d'une combativité impérieuse qui touche à la dureté, ou d'une noble indulgence qui va presque à la sagesse. Il est peu probable que l'une ou l'autre se rencontrent chez Burus, mais il est intéressant de voir comment il traver- sera cette phase de passion, qui forcément devait se trouver sur son chemin.

Ces amours commencent volontiers par des impressions intellectuelles et ils en vivent en partie, car ils appartiennent à une période où le corps n'a plus toute sa beauté et où, par contre, l'esprit a toute sa force. Il y

To Miss Chalmers^ Oct. 26tli, 1787. Les mots en italiq^ue sont en français.