Aller au contenu

Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

- 348 —

On comprend cependant que cette violence, dont les racines profondes n'étaient pas dans les parties désintéressées du cœur, aient fait illusion à Clarinda, et qu'elle l'ait attribuée au sentiment dont elle était agitée elle-même. Que pouvaient ses hésitations et ses scrupules contre ces promesses solennelles et ces insistances passionnées , et aussi contre la voix qui , plus bas mais constamment , plaidait la même cause en elle- même ?

Les entrevues se firent plus fréquentes, se pressèrent, devinrent presque quotidiennes. Ce qu'elles étaient , se laisse deviner dans les lettres de Burns, écrites quand leur trouble n'était pas encore apaisé : des soirées enivrantes et dangereuses, passées dans un compromis, sur une sorte de terrain débattu qui devenait chaque jour plus étroit et plus resserré.

Parfois, il semble que la frontière ait été franchie ou bien près de l'être. A la suite d'une de ces entrevues, Burns écrit :

« Je souffrirais le fouel de la misère pendant onze mois de l'année, si le douzième était composé d'heures comme iiier soir. Vous êtes l'âme de ma joie ; tout le reste est de la matière dont sont faites les souches et les pierres. ' ■)

Et Clarinda, avec un babillage féminin, plus prolixe, un peu naïf, par moments, et cependant aimable, lui écrit de son côté, à propos de la même entrevue :

(^ Sylvander, quand je pense à vous, comme à mon ami le plus attaclié, je suis heureuse; mais quand vous vous présentez à mon esprit comme amant, quelque chose en moi me donne un aiguillon (pii resseml)lo à relui de la culpabilité. Dites-moi comment cela se fait ? Cela doit venir de l'idée que j'appartiens à un autre. Quoi ! La femme d'un autre ! cruel destin ! Je suis en vérité, enchaînée dans une « chaîne de fei- ». l*ardonnez-moi, si je vous fais de la peine. Vous savez qu'il faut (j'ai dit : il faut) que je vous dise mes sentiments vrais ou que je me taise. Hier soir, nous fûmes heureux, au delà de ce que la masse du genre humain peut concevoir ! Peut-être la « ligne » que vous aviez marquée a-t-elle élé un peu outrepassée — vraiment, elle l'a été ; mais, bien que je le désapprouve, je n'en ai i)as été malheureuse. Je ne suis pas moins convaincue de votre discernemenl que de votre dvsir de rendre Clarinda heureuse. Je vous sais sincère quand vous professez l'Iiorreur à l'idée de ce qui la rendrait misérable à jamais. xMais il faut nous garder d'aller au bord du danger. Ah ! mon ami, grand besoin aurions-nous de « veiller et de prier ! » Jouissent ces esprits bienveillants, dont l'office est de ^' prévenir la chute de la vertu luttant sur le bord du vice », être toujours présents pour nous protéger et nous guider dans les droits sentiers

Sylvander, je voudrais que vos tendres sentiments fussent plus modérés. Pourquoi vouloir fixer son cœur sur àes impossibilités ? Prenez-moi simplement comme votre amie (hélas! c'est tout ce que je dois être) croyez-moi, vous me trouverez très raisonnable. Si vous vouliez chérir > l'intelligence mentale '^ comme vous faites le corps, en vérité, Sylvander, vous feriez de moi un philosophe '■<.

1 Ta Clarinda. Jaii. 26tii n8s.