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elle revient sur le même sujet, essayant de ramener des transports qu'elle avait à réprimer aux allures de l'amitié qui se modèrent d'elles- mêmes, comme si on pouvait arrêter dans sa marche une passion qu'on n'a pas su anéantir à son début. Les forces pour la combattre ont diminué de toutes celles qu'elle a prises ; lorsqu'on s'aperçoit qu'elle est devenue dangereuse, on est devenu impuissant. Il semble que Clarinda fut lente- ment gagnée , lentement vaincue, par cette insensible et irrésistible faiblesse. Vers la fin de la correspoûdance, ses objections, qui restent les mêmes, sont faites d'une voix moins ferme, sur un ton qui devient soumis et comme plaintif. La pauvre et vaillante femme parle comme ces personnes de qui la force se retire, et qui répètent avec douceur ce qu'elles disaient tout à l'heure avec énergie.

Il n'y a pas un sentiment daas voire chère dernière ietlrc qui ne doive rencontrer l'approbation de tous les esprits justes, sauf un seul, » que je peux disposer de mon cœur, de mes plus tendres désirs ». Il est vrai qu'ils ne sont pas, qu'ils ne sauraient être placés sur celui qui aurait dû les posséder, mais dont la conduite (je n'ose pas en dire davantage contre lui) les lui a justement fait perdre. Mais n'est-ce pas être trop près d'enfreindre les obligations sacrées du mariage que d'accorder son cœur, ses souhaits et ses pensées à un autre ? Quelque chose, dans mon âme, me murmure que cela approche du crime J'obéis à cette voix. Laissez-moi mettre tous les sentiments affectueux dans le lien permis de l'Amitié. S'ils sont accompagnés d'une ombre de senliment plus tendre, qu'ils soient versés dans le sein d'un Dieu miséricordieux ! Si l'aveu de mon amitié la plus ardente, la plus sincère, ne vous satisfait pas, le devoir défend à Clarinda de faire davantage ! Sylvander, je ne m'attends pas à être jamais heureuse ici-bas ! Pourquoi ai-je été formée si susceptible d'émotions auxquelles je n'ose pas céder ? ^

Plus loin, dans un passage singulier, qui n'est pas sans une sorte de beauté ni sans force et sincérité de sentiment, quoique un peu artificiel de forme, elle s'écrie :

« Sylvander, je crois que notre amitié sera durable ; sa base a été la verlu, une similitude de goûts, d'émotions et de sentiments. Hélas I l'idée de cent milles d'éloignement me fait trembler. A peine m'ecrirez-vous une fois par mois, et d'autres objets affaibliront votre affection pour Clarinda 1 Cependant je ne puis le croire. Oh ! que les scènes de la nature vous rappellent Clarinda ! Kri hiver, rappelez-vous les ombres noires de sa destinée ; en été, l'ardeur, la cordiale ardeur de son amitié ; en automne, ses riches désirs que tous aient l'abondance ; et que le printemps vous mette dans l'esprit l'espérance que votre amie puisse vivre assez pour traverser les rafales froides de la vie et revivre pour goûter un renouveau de bonheur ! Après tout, Sylvander, les orages de la vie « passeront rapidement et un printemps sans lin enveloppera tout. » Là, Sylvander, je crois que nous nous retrouverons. L'amour là n'est pas un crime. Je vous y donne rendez-vous. Dieu ! — je ne puis plus tenir ma plume 1. »

1 To Sylvander, Feb. 6tii, n88.