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Ainsi, peu à peu, Clarinda avait mis davantage de sa vie dans cette aventure. Elle s'était laissé gagner par cette troublante parole. II se peut qu'elle ait commencé par de la coquetterie, de l'attrait superficiel, de la curiosité, peut-être même par la vanité d'être distinguée par un poète. Mais c'était un jeu périlleux dans l'état d'àme oii elle était. Ce besoin d'aimer, qu'elle portait en elle vague et inappliqué, a pris corps ; il a envahi les profondeurs de son être. Et maintenant la malheureuse femme en est arrivée à la vraie tendresse et à la vraie affliction. Elle est déchirée en elle-même, entre l'appel que l'amour fait à toute sa nature et les admonestations de sa conscience. El aussi, elle souffre de la suprême détresse des cœurs qui nourrissent la pensée de la séparation. A mesure que le jour en approche, l'inévitable jour, le jour haï, elle sent qu'il lui enlèvera davantage. Elle en détourne les yeux. Elle connaît maintenant la souffrance de voir s'écouler, sans pouvoir les retenir, les dernières minutes qui vident notre bonheur. « Est-ce que vendredi sera notre dernier jour? Je voudrais, Sylvander, que vous partiez à la dérobée, — je ne puis supporter l'adieu ! Je puis à peine chérir la pensée de nous revoir — car cette pensée ^.. ! » Même dans ces extrémités d'amer- tumes, elle murmure encore la recommandation dans laquelle elle a placé tout le repos de sa vie et qui a été sou soutien pendant cette crise. « Sylvander, si vous désirez ma paix, que Y Amitié soit le seul mot entre nous : plus me fait trembler. « Ne parlez pas d'Amour ^ » A quoi bon? Les mots ne changent rien aux sentiments. Et d'ailleurs c'est à elle-même que cette recommandation devrait s'appliquer, car c'est elle seule qui aime d'amour.

Ces chagrins intimes n'étaient pas le seul dommage que la ren- contre de Burns devait porter dans la vie de Clarinda. Ces impru- dences de sentiments ont fréquemment leur contre-coup extérieur.

Autour d'une jeune femme, veuve ou séparée, il rôde presque toujours quelques amitiés masculines, toutes disposées à prendre un autre nom. Cela était arrivé pour Clarinda. On a vu qu'elle avait auprès d'elle un de ses cousins. Lord Craig, qui lui était véritablement dévoué. Il semble avoir été un homme délicat et bon^. Il avait été son principal protecteur, lorsque, seule et malheureuse, elle était arrivée à Edimbourg ; il l'avait soutenue dans ses épreuves et l'aidait dans sa gêne actuelle. Il avait conçu pour elle une de ces affections silencieuses, qui se résignent à ne rien obtenir, et vivent de la pensée qu'aucune autre ne leur est préférée. Clarinda avait failli l'aimer ; un rien, à un moment décisif, avait sans doute arrêté la cristallisation, pour employer le mot de Stendhal. Elle n'avait conservé

1 To Sylvander, Feb. Gih, 1788,

2 Voir la notice sur lui dans le Biographical Dictionary of E minent Scolsmen.