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c,ehii de ses enfants, et la ramener vers le dénûment, en la privant des amitiés auxquelles elle devait l'aisance. N'était-ce pas là une responsa- bilité faite pour troubler un honnête homme ? Fallait-il risquer l'avenir de cette existence? De si aventureux coups de résolution peuvent s'excuser, quand on donne vie pour vie, et que chacun paie de tout soi les sacrifices que l'autre fait. Était-ce le cas pour lui ? N'y avait-il pas lieu d'hésiter, de s'arrêter? N'était-ce pas son devoir de penser, lui qui n'exposait rien, de penser avant tout à cette femme qui allait perdre beaucoup pour lui ? N'était-ce pas à lui qu'il revenait de prendre une décision de prudence et de donner tendrement un amer avis de sagesse? N'y devait-il pas songer, tout au moins? Il n'y songea pas un instant. Il ne semble même pas avoir eu la notion qu'il y avait autre chose en cause que l'intérêt passager de ce qu'il appelait sa passion et les suscepti- bilités irascibles de son orgueil. Il n'avait trouvé qu'un sophisme, enlevé dans une colère presque éloquente par sa violence.

Mais ce n'est là qu'un côté de la situation. Quand on s'est emporté contre les jaloux ou les intrus qui nous gênent de leurs soupçons ou de leur zèle, on n'a pas fini. On demeure avec une responsabilité. C'est fort bien de chasser d'auprès d'une femme les amitiés qui l'entouraient, pourvu qu'on les remplace par une affection aussi efficace qu'elles l'étaient, et aussi durable qu'elles promettaient de l'être. Il faut que la protection qu'on lui apporte vaille celle dont on la prive. Mais si on la laisse désertée par ses relations, perdue dans le délaissement et la froideur qu'elle a encourus pour nous, on se ménage le remords qu'on mérite chaque fois qu'on a sacrifié à un caprice le repos d'une créature humaine. Et Burns le sentait bien ! Le lendemain de cette lettre toute de revendication, il en écrit une autre qui est bien plus près de la vérité ; celle-ci, toute de contrition, toute de repentir, et portant dans chacune de ses lignes, le sens et le chagrin du tort fait à la pauvre femme dont il était aimé.

Votre lettre, Clarinda, m'a causé de la peine. Mon âme s'est réveillée à cette triste lecture : j'ai eu peur d'avoir mal agi. Si je vous ai privée d'un ami , que Dieu mêle pardonne! Mais consolez- vous, Clarinda; élevons le tonde nos sentiments un peu plus haut, un peu plus hardiment. Celui de nos semblables qui nous abandonne, qui nous méprise, sans juste motif, — qu'un peu d'orgueil honnête nous soutienne I — laissous-ie partir ! Comment vous consolerai-je, moi qui vous ai causé ce tort? Puis-je souhaiter de ne vous avoir jamais vue? ne jamais vous avoir rencontrée ? Non, jamais 1 Mais vous ai-je donc réduite à être sans amis ? La folie est presque dans cette pensée. Père des miséricordes ! contre toi, j'ai souvent péché ; par ta grâce, j'essayerai de ne plus le faire. Quant à celle qui, tu le sais, m'est plus chère que moi-même, verse dans ses blessures passées, le baume de la paix, entoure-la, protège-la de ton soin spécial, dans tous ses jours, dans toutes ses nuits futures. Fortifie son tendre, son noble esprit, afin qu'elle souffre avec fermeté et endure avec grandeur. Rends-moi digne de cette amitié, de cet amour dont elle m'honore. Que mon attachement pour elle soit pur comme le dévouement, et durable comme la vie immortelle. bonté toute puissante ! Ecoute-moi I sois-lui, à tous les