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conscience en paix et un ami ferme et fidèle — est-ce qu on peut dire que celui qui Dossède ces choses est mallieureux ? Vous les possédez ^

Peu à peu, la rumeur publique l'avait désigné comme l'inconnu qui troublait la tranquillité de la vie de Glarinda, car il ajoutait : « Cependant si quelqu'un de ces intempestifs amis vous questionnait à mon propos et vous demandait si je suis i^?", je ne pense pas qu'ils aient droit aune réponse. Quant à leur jalousie et à leur espionnage, je les méprise ^ »

C'est dans ces pénibles circonstances qu'eut lieu, le samedi 16 février 1788, la dernière rencontre des deux amants, avant le départ de Burns. A la tristesse de la séparation, s'ajoutaient, pour Clarinda, l'anxiété des jours précédents, peut-être la lassitude de scènes de reproches, l'inquiétude de sa réputation compromise, le regret d'avoir blessé son bienfaiteur et le déchirement que cause une amitié qui se détache. Et c'était au moment 011 les affections éprouvées l'abandonnaient, que le nouvel amour qui les éloignait s'en allait aussi. Elle devait être brisée. Avec un mélange de tendresse et de dévotion, elle fit promettre à Burns que, tous les dimanches à huit heures, au service du soir, à l'église, il penserait à elle. Elle se rappelait peut-être les vers adorables de Shakspeare où une amante se propose d'engager son amant à la rencontrer dans son oraison, à la sixième heure du jour, à midi et à minuit, parce qu'alors « elle est au ciel pourlui^. » Leur liaison, si littéraire, s'achevait sur un souvenir de Cymheline comme elle avait commencé par une citation à' Othello. Enfantillages bienfaisants qui distraient l'amertume des dernières entrevues et condui- sent peu à peu de la crise de la séparation à l'habitude de l'absence ! La pauvre Clarinda s'y rattachait dans sa solitude. Sans doute, Burns lui fit des adieux éloquents et répandit des promesses solennelles. Sans doute encore, il était sincère, et quand il lui prodiguait des serments dont le ton se devine à celui de ses lettres, que pouvait-elle faire, sinon le croire, laisser, comme un baume, cette parole tomber sur tant de chagrins. Mais quand il ne fut plus là, dans quel délaissement elle dut se sentir ! Quelques jours après son cousin vint la voir. Comme elle le remerciait de sa visite, il lui répondit que « c'était seulement pour cacher au monde, le changement survenu dans son amitié. » Elle eut peine à se retenir de pleurer. « J'ai fait mon choix, écrivait-elle à Burns en lui racontant cette scène, et vous seul pourrez m'en faire repentir. Cependant, tant que je vivrai, je regretterai d'avoir perdu l'amitié d'un tel homme 3. »

En Burns, ce roman se déroulait sur une détresse de cœur dont les fluc- tuations se mêlent avec lui. Elles se combinent avec les mouvements de sa

1 To Clarinda, 15tii Feb. nss.

2 Shakspeare, Cymbeline, act. i, scène 5.

3 To Sylvander, 19tli Feb. n88.