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tiques où l'on sent bien le trouble et le tumulte d'une âme qui, somme toute, n'était pas vulgaire. Il y a bien un peu d'affectation littéraire, généralement au début des lettres, mais qui ne dure pas, qui ne tient pas, et fond, dès que le sentiment vrai se montre, comme le givre répandu sur le bord matinal du jour disparaît au premier soleil. La correspondance de Burns ne vaut pas mieux que la plupart des lettres d'amour écrites par des hommes ; celle de Clarinda aura sa place dans la collection charmante de lettres écrites par les femmes, sous la dictée de leur cœur.

C'est qu'au fond Burns n'aima pas Clarinda et qu'elle l'aima ; ou plutôt ils s'aimèrent de façon différente. Lui fut attiré vers elle par l'élégance extérieure, par un raffinement auquel il n'était pas habitué, et qui lui sembla délicieux. Il n'aima d'elle que la culture, le brillant du dehors, les ornements et, pour ainsi dire, la toilette de l'âme. Il ne pénétra pas jusqu'à cette âme elle-même, qui était saine, heureuse et constante. Clarinda, au contraire, par une de ces intuitions pénétrantes dont son sexe est capable, laissant de côté toutes les conditions extérieures, alla jusqu'au fond même de sa nature et l'aima pour ce qu'il avait en lui de génie, de flamme et de générosité. Quelles que fussent les différences de rang et de façons, elle vit que cet homme était plus grand que les autres, fait d'une plus forte étoffe. Elle conçut un sentiment profond qui ne se démentit pas et qui malgré les déboires, l'absence et les années d'une longue vieillesse resta entier. Ce ne fut dans la vie de Burns qu'un épisode qui ne lui fait pas honneur ; ce fut dans l'existence de Clarinda un événement unique, souverain, qui la domina à partir de ce jour. Ce ne fut pour lui qu'un souvenir ; ce fut pour elle pendant longtemps une tristesse, et, quand l'âge eut mis en elle sa sérénité, un culte.

Le 24 mars 1788, Burns quitta Edimbourg définitivement. Il s'éloignait sans que son départ fût remarqué, désabusé, des lieux où, dix-huit mois auparavant, il était arrivé le cœur jeune, bondissant d'espérance et où il avait été accueilli par un tel enthousiasme. Il n'avait pas lieu d'être reconnaissant à la grande ville. Elle n'avait pas tenu ses promesses. Elle lui avait versé pendant quelques mois l'admiration et les flatteries, comme une ivresse. Mais cela était fini depuis longtemps ; la faveur, la vogue étaient tombées, comme des voiles un instant gonflées par le vent; l'attention même avait disparu. Il ne restait rien que la fatigue et l'irritation de cette représentation inutile. S'il avait, en ce moment, une claire conscience de lui-même, il pouvait même en vouloir à la cité. Ce séjour l'avait plus vieilli que plusieurs années de travail ingrat. Cette ville l'avait détérioré. Par en haut, elle lui avait imprudemment montré, une existence brillante, inaccessible pour lui ; elle lui avait fait prendre goût à ce qu'elle ne pouvait lui donner, plus encore ! à ce qu'il ne pouvait atteindre ; elle lui avait fait connaître, non pas l'admiration brève