Aller au contenu

Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 395 —

II y avait quelque chose de plus grave encore, quoique ce fût moins apparent, plus profondément enfoui en lui-même. Il se poursuivait en lui de ces sourds débats, qui s'établissent en nous, en dépit de nous, presque sans nous, et qui portent sur nos actes les plus déterminés ; cette discus- sion machinale, involontaire, qui travaille confusément mais continûment dans nos derniers replis de conscience, et détruit, à mesure que nous nous en satisfaisons, nos propres raisonnements suruotre propre conduite. Il en souffrait. Il était trop souvent occupé à se persuader qu'il avait agi pour le mieux: « Sûrement il avait bien fait, et d'ailleurs il ue pouvait pas faire autrement!» Voici ce qu'il écrivait pour lui seul, dans son journal intime, dès ses premières journées d'Ellisland ; on dirait qu'il cherche à refouler, à accabler cette obscure, cette obstinée contradiction qui monte de lui-même.

Le mariage — la circonstance qui m'enchaîne le plus étroitemenl à la prudence si la vertu et la religion doivent être pour moi autre cliose que des mots — le mariage est ce à quoi j'aurais, dans quelques années, dû me décider. Dans ma situation présente, il était absolument nécessaire. L'humanité, la générosité, un honnête orgueil de ma réputation, les droits de mon bonheur dans l'avenir, en tant qu'il dépendra (et il en dépendra beaucoup) de la paix de ma conscience, tous ces motifs ont joint leur.s plus ardents suffrages, leurs plus puissantes sollicitations, avec une affection enracinée, pour me pousser à l'acte que j'ai accompli. Et je n'ai, de la part de ma femme, aucun sujet de m'en repentir. Je puis bien me figurer comment, mais je n'ai jamais vu où j'aurais pu faire un meilleur choix. Allons! que j'agisse, selon ma devise favorite, ce magnifique passage de Young.

Sur la Raison bâtis la Résolution, Ce pilier de la vraie majesté dans l'homme '.

C'est là un étrange langage. Quand on est simplement heureux, il n'y a pas besoin de faire appel à l'énergie et au stoïcisme. Comme s'il n'était jamais bien convaincu, il revient sans cesse sur ce point et recom- mence sa démonstration. Quand il écrit à des étrangers, il répond à des objections qu'on ne lui fait pas et la même formule de raisonnement revient : Je ne pouvais pas agir autrement. « Il n'est plus temps de regimber quand on s'est laissé entraîner » disait Montaigne ^.

Cette situation, ou plutôt les résultats qu'elle pouvait amener, n'ont pas échappé à quelques-uns de ses contemporains. Walker dont la sympathie pour Burns nous est connue depuis Edimbourg, l'avait notée avec mesure et fermeté :

Un lecteur perspicace s'apercevra que les lettres dans lesquelles il annonce son mariage à quelques-uns de ses correspondants les plus respectés, sont écrites dans cet état où l'esprit souffre de réfléchir aune décision pénible, et trouve un soulagement en cherchant des arguments pour justifier l'action et diminuer ses désavantages dans

1 Extracl from Ihe Author's Journal, IStb June 1788.

2 Montaigne. Essais, livre m, chap. v, sur des vers de Virgile.