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l'opinion des autres.... Un mariage imposé par un sentiment de devoir peut être rendu indispensable par les circonstances ; cependant, comme c'est entreprendre un devoir qui ne peut s'accomplir par un effort temporaire quelque puissant qu'il soit, mais qui réclame un renouvellement d'effort chaque année, chaque jour et chaque heure, c'est soumettre la force et la constance de nos principes à l'épreuve la plus dure et la plus hasardeuse i.

Il y avait doue des dangers latents. Mais il les ignorait, quoiqu'il les portât eu lui-même. Il était, comme toujours, confiant en soi, se donnant si bien tout entier à ce qu'il éprouvait qu'il ne réservait rien de lui pour s'en défier. Il allait être un modèle de fidélité et de confiance ; il était bien sûr de posséder ces deux qualités essentielles d'un mari ; il les sentait en lui. C'est d'une entière bonne foi qu'il écrivait à M^ Dunlop :

« A la jalousie et à l'infidélité je suis également étranger. Mon préservatif contre la première est la conviction complète de ses sentiments d'honneur et de son attachement pour moi ; mon antidote contre la seconde est ma longue et profondé- ment enracinée affection pour elle 2. »

A coup sûr, il était victime de l'illusion commune. Combien souvent il arrive qu'on prenne la conception d'un devoir pour la volonté de le remplir, et qu'à travers cette erreur on se trouve presque le mérite de l'avoir accompli ! Ces bonnes résolutions étaient des gelées blanches. Mais il croyait à leur durée. « Tout licencieux qu'on me tient, dit carrément Montaigne, j'ay en vérité plus sévèrement observé les lois de mariage que je n'avais n'y promis n'y espéré ^. » Du moins, avec lui, on avait su à quoi s'en tenir. C'est le dire d'un sage : il s'engageait à peu, il tenait un peu plus, et s'estimait dans l'humaine mesure. Mais Burns était un enqiorté ; il voulait aller en tout à l'extrémité des choses. Le malheur est qu'il n'y restait pas longtemps ; et c'est un défaut quand il s'agit justement de constance.

Presque aussitôt après son mariage, Burns fut obligé de repartir pour faire la moisson à Ellisland. Il se remit au travail de la terre abandonné depuis deux ans, parfois maniant la faux, ou plus souvent liant les gerbes derrière ses faucheurs. C'était toujours un rude ouvrier et il dut retrouver ces fortes occupations de jadis avec une sorte de joie et de bien-être.

Malheureusement les inquiétudes l'attendaient. Lorsqu'il était arrivé sur sa ferme, les grains étaient jeunes; l'élé, qui parfois met tant de différence entre les épis verts et les épis mûrs, n'avait pas encore passé sur eux. 11 pouvait espérer. La construction de la maison et ses voyages à Mauchliue avaient ensuite distrait sa pensée. Maintenant que l'ouvrage

1 Walker. Life of Burns, p. lxxxvii.

2 fo Mrs Dunlop, lOtli June 1788.

•^ Montaigne. Essais, livre m, chap. v, sur des vers de Virgile.