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de meilleur remède pour chasser le brouillard que les vapeurs d'un grog de whiskey. Burns eût sans doute pu résister à cet entraînement du métier, s'il avait été un employé ordinaire. Mais, partout oii il arrivait, il était attendu, accueilli et fêté. On l'arrêtait au passage. « Du château au cottage, dit un de ceux qui l'accompagnèrent souvent dans ses excursions, chaque porte s'ouvrait à son approche, et le vieux système d'hospitalité à outrance, qui prévalait alors, rendait presque impossible à un invité, aussi sobrement qu'il fut disposé, de se lever de table dans le même état qu'il s'y était assis. Si Burns passait sur une grand'route, le fermier abandon- nait ses moissonneurs et trottait à côté de Jenny Geddes, jusqu'à ce qu'il eût persuadé au poète que le jour était assez chaud pour demander quelque rafraîchissement. S'il arrivait dans une auberge à minuit quand tout le monde était couché, la nouvelle de son arrivée circulait de la cave au grenier et, en moins de dix minutes, l'aubergiste et ses hôtes étaient assemblés autour du feu, on apportait le plus large bol et on chantait :

« Que cette nuit soit à nous, qui sait ce qui vient demain 1 1 »

En même temps, de toutes parts, de tous les coins de sa vie, sortaient des embarras et des tristesses qui le dévoraient. Ses appréhensions à propos de sa ferme étaient devenues une certitude. « J'ai fait mention à my lord de mes craintes concernant ma ferme. Ces craintes étaient en vérité trop réelles; c'est un marché qui m'aurait ruiné sans cette heureuse circonstance que j'ai obtenu un poste dans l'Excise 2. » Il n'y avait plus à douter, plus à espérer. C'était de ce côté-là une partie perdue. Et comment aurait-il pu en être autrement? Même quand il se donnait tout entier à ses devoirs de fermier, l'entreprise ne prospérait guère. Depuis que son emploi nouveau l'emmenait tous les jours loin de chez lui, les choses allaient à l'abandon. Qu'est-ce qu'une ferme sans l'œil du maître, et d'un maître vigilant? Jane n'était pas femme à faire marcher la maison, en l'absence de son nuiri. « Sa ferme, dit Currie, fut en grande partie aban- donnée aux domestiques. On pouvait, à la vérité, le voir pendant le printemps conduire la charrue, travail auquel il excellait, ou avec un drap blanc, contenant ses semences de blé, passé sur l'épaule, marcher à pas longs et mesurés le long de ses sillons ouverts et répandre le grain dans la terre. Mais sa ferme avait cessé d'occuper la plus grande partie de ses soins ou de ses pensées. Ce n'était plus à Ellisland qu'on pouvait généra- lement le trouver 3. » Il perdait ainsi d'un côté une grande partie de ce qu'il gagnait de l'autre. De cette ferme, d'où ne sortait plus de joie et où n'était plus son travail, venaient des tracas et des tourments.

1 Lockhart. Life of Burns, p. 204. - To lady Gîencairn, Dec. 1789. 3 Currie. Life of Burns, p. 46.