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bonne qui l'avait comme illuminée! Quelle descente rapide! Dans quel lieu sombre, humide et douloureux sommes-nous donc? Les rayons nous ont-ils si vite abandonnés ?

Cette tristesse opérait en lui un désastreux travail. Tout se désorgani- sait de ce qui tient une âme ensemble : l'espérance, l'ambition, les motifs d'efforts. De l'espérance, il n'en était plus guère question. Mais l'ambi- tion est encore un des ressorts de la vie à sa maturité, dans les âmes oîi le dévouement ne réside pas. Lorscjue l'allégresse et la spontanéité de la jeunesse ont cessé et que la vie est pour ainsi dire étale, une ambition haute est une lumière qui conduit l'homme jusqu'au ternie. Burns pouvait en avoir une. Elle eut été une force. Il semblait en avoir le dégoût.

Jecrois qu'une grande source de celte erreur decouduileest dueàun certain aiguillon que nous portons en nous, appelé l'ambition, qui nouspiqueel nous fait gravir la colline de la vie, non pas comme nous gravissons d'autres éminences, pour la louable curio- sité d'apercevoir un paysage plus étendu, mais plutôt pour l'orgueil mallionuête de regarder en bas vers nos semblables et de les apercevoir diminués, dans une situation plus tiumble*. »

La vie tout entière lui paraissait mal faite, mal corubinée. C'est une idée qui revient, dès lors, à mainte reprise, que ceux qui sont trop sen- sibles, trop honnêtes ou doués d'une intelligence trop fine sont mal pourvus pour être aux prises avec elle. Cela ne sert à rien qu'à être pour eux une cause d'infériorité et de souffrance.

Ne pensez-vous pas, Madame, que, chez les quelques-uus qui ont été favorisés du ciel dans la structure de leur esprit, (car il y en a certainement), il peut y avoir une pureté, une tendresse, une dignité, une élégance d'âme, qui ne sont d'aucune utilité, bien plus ! qui rendent un homme incapable de celte affaire véritablement importante de faire son chemin dans la vie ? ^

Il dit encore avec plus de force :

Cependant il faut recouuaitre cpie, si vous enlevez à l'homme l'idée d'une existence au-delà du tombeau, alors la véritable mesure de la conduite humaine est : le conve- tiablc et le malséant. La vertu et le vice, eu tant que dispositions du cœur, ont, en ce cas, à peine la même consécpieuce et la même valeur pour le monde eu général, que l'harmonie et la dissonance dans les modifications du son. Un sens délicat de l'honneur, comme une oreille délicate pour la musique, peuvent quelquefois procurer H qui les possède des délices inconnues aux organes plus grossiers de la multitude. Cependant si on considère les âpres grincements et les inharraoniques discordances de celte existence mal accordée, il y a beaucoup à parier que cet individu serait aussi heureux et qu'il serait assurément aussi respecté par les vi-ais juges de la société telle qu'elle serait alors, sans une oreille juste ou un bon cœur -. »

1 To Alex. Cunnmyham, 13Hi Feb. Hao. - ïo J/" Dunlop, lOth April n90.