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insolite, ils suivaient leur maître ou le cherchaient du regard ^ Comme on les aimait et qu'ils étaient bien traités, ils rapportèrent un bon prix. « Les vaches étaient belles et se vendirent très cher à la vente » racontait IVP Burns -. Mais que sont quelques pièces d'or à côté de la peine de perdre ces braves bêtes, de l'inquiétude de savoir entre quelles mains elles vont s'en aller? Il y avait pour la charrue un attelage de deux chevaux habitués l'un à l'autre. Ce fut un chagrin dans la famille de penser que ces deux compagnons allaient être séparés. Lui, qui avait écrit les vers à la pauvre Mailie et à la vieille Jument, ne put à coup sûr les voir partir, sans quelque chose dans ses yeux qui ressem- blait à des larmes.

Et quelle tristesse suprême quand il chargea sur une charrette son pauvre mobilier, qu'il fallut s'éloigner de la maison qui lui avait donné la sensation d'un foyer, où il avait pensé être heureux ! Il ne se peut que ce moment n'ait été pour lui d'une mélancolie presque solennelle. Il disait pour toujours adieu à la terre. Elle avait été dure pour lui : depuis son enfance, elle avait pris sa sueur pour une maigre récompense: elle lui avait accordé des gerbes chétives et un pain gagné péniblement ; elle avait été pour lui et les siens fertile en épines et en ronces, en soucis, en peines, en détresses de toute sorte. Mais elle lui avait versé prodigue- mentdes dons plus magnifiques : la senteur de ses blés verts, l'éclat de ses moissons plus précieux que les moissons elles-mêmes, ses mille spectacles, ses clartés ; elle avait nourri son esprit de rêveries, de beauté, de mélancolie ; elle lui avait inspiré ses moments les plus hauts de con- templation, de pitié, de tendresse, d'enthousiasme ; elle lui avait donné rien que dans une petite fleur brisée plus que des récoltes qui eussent fait plier ses greniers. Adieu donc, ô Terre, non point marâtre mais mater- nelle et bienfaisante, douce parente des solitudes oii l'âme s'élargit, et s'élève et s'épure, qui tiens dans ton giron les salubres endurances, les efforts salutaires et les gaîtés robustes ! Ton fils, le poète que plus que tout autre tu as formé, ton fils te quitte pour aller vers les mesquines demeures des hommes. Il tourne son visage aux cités. Il va trouver là-bas une vie qui ne se présente plus par les aspects universels, mais par des fièvres changeantes, les petitesses, les vilenies humaines. Tandis qu'il s'éloigne, peut-être à son cœur confusément alarmé reviennent ces strophes d'autrefois qui lui disent toute sa perte :

Nature ! tous les aspects, tes formes. Polir les cœurs sensibles, pensifs, ont des cliannes !

' \'oir ce qu'il dit sur sa brebis Mailie {The Death and Dynig words of Poor Mailie) : Through a' tbe toun she trotted by him ; A lang half-mile she could descry him.

2 Memoranda by Mr Mac Diarinid frorn jV* Burns dictation. Hately Waddell, p. xxi.