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tontes mes affections et mes espérances sont entièrement concentrées) adieu pour toujours ; lutter seule et sans protection contre la pauvreté et la censure du monde * ». Elle espérait toutefois que le caractère jaloux de son mari était calmé par une plus grande connaissance du monde; elle disait, non sans mélancolie, « que le temps et ses malheurs, en altérant sa personne et sa vivacité, rendaient moins probable qu'elle serait exposée à ses soup- çons 1 ». Elle prit finalement la résolution d'aller à la Jamaïque. Il est vraisemblable que, en dehors des considérations qu'elle exposait à ses amis, d'autres sentiments plus secrets avaient préparé son esprit à ce rapprochement. L'amour et l'abandon de Burus devaient y être pour quel- que chose. Cet amour, en portant atteinte aux amitiés qui l'entouraient, l'avait plus isolée ; cet abandon, avec sa dure leçon, l'avait assagie. Il n'est pas rare que l'amant, en tuant les illusions dans le cœur d'une femme, enlève l'obstacle qui empêchait celle-ci de vivre tranquillement avec son mari. La chute du rêve qui souvent éloigne les femmes de la réalité, les y ramène ; les déceptions les réconcilient avec leur vie ; elles la recommencent ayant perdu les prétentions qui la leur faisaient paraître odieuse ; elles finissent par y prendre goût et y trouver quelque douceur. Il se produisait quelque chose de cet accommodement dans la nature pratique de Glariuda. Cette phrase-ci n'en a-t-elle pas le ton rési- gné : « Ceci me semble le choix préférable ; c'est sûrement le sentier du devoir et, par conséquent, je puis espérer que la bénédiction de Dieu accompagnera mes efforts pour être heureuse avec celui qui a été l'époux de mon choix et le père de mes enfants? ^ ». Au mois d'octobre 1791, un peu avant la lettre à Burns, elle avait répondu à son mari qu'elle irait le rejoindre. Mais le navire qui devait l'emmener ne partait qu'au printemps ^. Elle était donc au moment des adieux quand Burns lui annonça qu'il allait arriver à Edimbourg. Elle ne put obtenir de son propre cœur le refus de le voir.

Le 29 novembre 1791, pour la dernière fois de sa vie, Burns alla à Edimbourg, et les deux amants se retrouvèrent. Près de quatre années s'étaient écoulées depuis leur séparation, pendant lesquelles l'affection de Clarinda n'avait cessé d'errer autour de l'ingrat. Il avait vieilli : les fatigues et les excès avaient fatigué ses traits. Mais quand il reparut, obscur dans cette ville jadis émue de lui, il sembla à sa maîtresse qu'elle revivait dans la splendeur de ces mois anciens. Lui retrouva sans doute ses regards d'autre- fois, ces mots qui savent rendre irrésistibles les excuses et charment les jalousies. Tout fut oublié jusqu'aux paroles amères qu'elle lui avait écrites. N'étaient-elles pas une preuve qu'elle avait souffert? L'ancienne passion,

1 Memoir of Mrs Mac Lehose by her Grandson, p. 34.

2 Id., p. 35.

3 Id., p. 38.