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vent toute la vibration triomphale ou déchirante du coup dont tremble encore leur âme. Leur œuvre a souvent le trouble et l'élan de sentiments que le temps n'a pas épurés mais n'a pas affaiblis. Elle contient moins de pensée et plus de passion. C'est parmi ces derniers qu'il faut placer Burns. Non seulement, l'émotion et la création étaient chez lui simulta- nées, mais la première était si désordonnée qu'elle eût été intolérable, si elle n'avait trouvé un soulagement dans la seconde. « Mes passions, dit-il, une fois allumées, se déchaînaient comme autant de démons, jusqu'à ce qu'elles trouvassent une issue dans la rime, et, alors, réciter par cœur mes vers agissait comme un charme et calmait et adoucissait tout. » Il faut ajouter que ces amours, malgré leur violence, étaient purs, car Gilbert et Burns lui-même ont pris soin de marquer la date oii ils cessèrent de l'être.

Ainsi, avec les journées dans les champs, les sorties du soir, les lectures et les compositions le long du chemin, les séances chez le forgeron, les discussions du club, le mélange de travail, de tristesse et de joie qui fait la vie de tous ; avec des rafales de passion, des éclairs d'ambition, des élans de tendresses charmantes, des bondissements éblouissants de gaîté qui n'étaient propres qu'à lui ; jetant à pleines mains, comme lorsqu'il semait, la poésie et le rire, inconscient encore et cependant déjà frémissant de son génie, causant une sorte d'étonnement autour de lui, impétueux et honnête en toutes choses, avec l'emportement qui devait lui faire commettre bien des fautes, mais sans le remords d'en avoir encore commis, il passa les premières années de LochJea. Années agitées, mais pures, et qui, en somme, furent heureuses.

Il tint peut-être alors à peu de chose que cette agitation ne se fixât et que le calme ne grandît dans sa vie. « Comme toutes ces relations, dit Gili)ert, en parlant de ses intrigues, étaient gouvernées par les règles les plus strictes de la vertu et de la modestie — desquelles il ne dévia jamais jusqu'à ce qu'il eût atteint sa vingt troisième année — il deviut anxieux d'être en situation de se marier 2. » Il y avait, dans une famille qui habitait sur les bords du Cessnock , petite rivière qui va rejoindre rirvine, une jeune fille qui s'appelait Ellison Begbie. Elle y servait en qualité de domestique, comme beaucoup de filles de fermiers. Son père était lui-même fermier à Galston , près de Kilmarnock. C'est sur elle que Burns avait jeté les yeux et fixé son choix. Ce n'était pas une beauté, semble-t-il, mais elle avait un charme parti- culier et une sorte d'attrait vif que la beauté a rarement. Dans la chanson qu'il a écrite sur elle, on devine, à travers les comparaisons dont elle se

1 Autobiographical Leller to D Moore.

2 Gilbert's Narrative.