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Qu'elles restent donc à l'écart ces âmes honorables qui font profession de n'excuser rien ; ces âmes rigoureuses qui ont regardé partout, sauf en elles-mêmes, où elles auraient appris à redouter leur propre jugement ; ces âmes gâtées de malveillance qui vont dans la vie, ramassant le mal d'autrui, pareilles à ces misérables courbés qui ne voient du travail et de l'activité des grand'routes que les ordures qu'ils emportent en leur panier ! Qu'elles restent à l'écart ces âmes assez déchues pour ne jamais accueillir la Bonté, ou plutôt dont la Bonté se détourne ! Leur châtiment, parce qu'elles ont fait du mal leur unique préoccupation et leur aliment, est que le mal devient leur substance , qu'elles meurent dans un empoisonnement , une décomposition morale , comme finiraient des êtres qui ne se seraient jamais repus que de pourritures. C'est pourquoi il a été dit qu'elles ressemblent à « des sépulcres blanchis qui parais- sent beaux au dehors et au dedans sont pleins d'ossements de morts et de toute espèce d'impuretés^». Et si ces paroles semblent trop vives, qu'on se souvienne que celui qui a été, pour notre occident, le créateur et le divin poète de la charité, a oublié sa mansuétude et pris un esprit de colère, pour parler de la race des hypocrites qui paient la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin et laissent ce qui est le plus important dans la loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Et qu'on se rappelle également qu'il trouvait leur criuie plus abominable que tous les autres, et qu'il fit toujours paraître « plus d'indignation et un zèle plus amer contre cette prétendue sévérité pharisaique que contre les désordres les plus énormes des publicains et des femmes prostituées de Jérusalem ^ ». Qu'ils restent donc à l'écart ! Ils sont inaptes à juger le poète. Il les a abhorrés par dessus tout ; il a été un de ceux qui les ont châtiés des lanières les plus coupantes. Sa poussière doit frémir de colère quand ils s'entretiennent de lui.

C'est dans d'autres conditions d'esprit qu'il faut apprécier une vie comme celle de Burns et, on peut le dire, toutes les vies. Il est nécessaire d'établir premièrement en soi cette conviction que l'histoire d'un carac- tère, comme celle d'un organisme ou celle d'un monde, n'est pas une page blanche, un repos de pureté, mais un équilibre oscillant de vie et de mort, un combat de bien et de mal, le pénible dégagement d'un peu de mieux hors de beaucoup de désordre, le mélange d'ombre et de rayons dont sont faites les années et oii roule l'univers. Aucune vie, pas plus qu'aucune époque, ne réalise le bien. Elles ont rempli leur office lors- qu'elles ont conquis et légué quelque progrès ; ce qui les juge n'est pas l'endroit où elles s'arrêtent, mais ce qu'elles ont fait de chemin. Le vrai jugement sur tout homme, c'est donc que le bien atténue et compense

  • Mathieu, xxm. 27.

2 Bourdaloue. Sermon sur la Sévérité Evangelique.