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nombreux de la ferme. Il allait la rejoindre et s'asseyant près d'elle, car il était épuisé par la moindre marche, il lui disait les noms des herbes et des fleurs sauvages qui poussaient alentour ^ A travers les souvenirs attendris de ses enfants, on a la vision mélancolique de cet homme, portant l'air morne et absorbé des paysans moribonds qu'on voit parfois dans les champs, les yeux fixés sur le sol que le seul attrait et la joie puissante de leur vie a été de remuer. Quand leurs bras amaigris les trahissent, ils sont envahis d'un profond chagrin. Leurs dernières sorties, pleines de longues et taciturnes contemplations, ont une tristesse indicible. A ce lent et douloureux détachement de la terre, où les campagnards tien- nent par les racines de tout leur être, s'ajoutait pour William Burnes l'angoisse du lendemain pour les siens. Dans quelles affres cette âme puissante à souffrir et stoïque dut se consumer durant ces derniers mois ! Heureusement, ce noble paysan avait pour appui une foi solide et la confiance qu'elle donne. Quand ses yeux étaient trop lassés des misères sombres et troublées d'ici-bas, il savait où les lever plus haut, pour les reposer dans une espérance sereine et lumineuse ; il savait où sont les rayons qui sèchent les larmes et les attentes qui guérissent des déceptions. La foi religieuse, austère et inébranlable, était le refuge et le roc sur cette mer de troubles qu'avait été sa vie. Dans l'impression poignante et un peu révoltée que causent tant de malheurs immérités, on éprouve une sorte de soulagement à songer que les tristesses suprêmes de cet homme de bien ne furent pas délaissées de toute consolation, et qu'il portait en lui un rêve où pouvaient se réconcilier la pureté et l'affliction de sa vie.

Dès le commencement de 1783, il vit que la mort n'était plus loin. Il s'y prépara courageusement avec une sorte de calme méthodique. Quoique affaibli, il envoya lui-même ses adieux à ses plus proches parents et chargea ses fils de les transmettre pour lui à ceux qui étaient plus éloignés. Cette brave et touchante façon de se mettre en règle avec sa famille et de se tenir prêt, apparaît bien dans une lettre que Robert écrivait à son cousin James Burness, de Montrose, le fils de ce frère que William avait embrassé sur la colline quand ils s'étaient séparés au sortir de la maison paternelle. Elle est datée du 21 juin 1783.

« Mon père a reçu votre honorée du 10 courant, et comme il est depuis plusieurs mois en très pauvre santé et que , selon sa propre expression — et à la vérité , selon l'opinion de tous — il est mourant, il a, avec beaucoup de difficulté , écrit quelques lignes d'adieu à chacun de ses beaux-frères. C'est pour cette triste raison que je tiens aujourd'hui la plume pour lui, afin de vous remercier de votre bonne lettre et vous assurer que ce ne sera pas ma faute si la correspondance de mon père dans le Nord meurt avec lui. »

^ R. Charabers, tome I, p. 80