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Et elle se termine par ces mélancoliques paroles :

« Mon père vous envoie, probablement pour la dernière fois en ce monde, ses souhaits les plus ardents pour votre réussite et votre bonheur i. »

II pensait dès lors mourir bientôt. Cependant il vit l'automne et une dernière fois les moissons rentrer; il passa l'hiver; il alla jusqu'au mo- ment où les blés commencent à montrer leur verdure.

Le jour qui fut son dernier, il était seul dans sa chambre avec sa plus jeune fille en qui vécut le souvenir de la scène, et Robert. La pauvre petite pleurait. II essaya de parler et ne put que trouver quelques mots de consolation, tels qu'on en dit aux enfants. Ils étaient faibles et comme murmurés avec peine. Il lui conseilla dans un soupir déjà lointain de « marcher dans la voie de la vertu et d'éviter le vice ». Après un instant silencieux, il dit qu'il y avait quelqu'un dans la famille sur la conduite future de qui il avait des craintes. II répéta ces paroles, comme si c'eût été là pour lui une préoccupation suprême. Robert s'ap- procha du lit et lui demanda : « Mon père, est-ce moi que vous voulez dire? » Le vieillard répondit que c'était lui. Robert se tourna vers la fenêtre, les joues couvertes de larmes et la poitrine tremblante de san- glots qu'il étouffait. Peut-être, avec l'attention vigilante, furtive et si aiguë des malades, son père avait-il saisi quelque indice, deviné quel- que chose. Ces paroles se sont plus d'une fois représentées à l'esprit de Burns, avec amertume ^. William Burnes expira le même jour, le 13 février 1784, dans sa soixante-troisième année. Sa vie avait été dure et inclémente comme un jour d'hiver. Il avait eu pour lot de connaître le labeur sans sa récompense et l'effort sans l'espoir du repos. Il avait tout accepté sans plainte, sans même un murmure. Il avait vécu noble- ment. Après tant de traverses et si peu de joie, il atteignit le calme.

On ne voulut pas qu'il dormît dans un cimetière étranger, mais dans le cimetière familier d'Alloway, près du petit cottage d'argile. Les funé- railles furent faites selon une vieille coutume. Le cercueil fut suspendu entre deux chevaux qui marchaient l'un derrière l'autre. Les parents et les voisins suivaient à cheval ^. Il fut couché à l'ombre des murs de l'église, sous le son des cloches qu'il avait connues. Sur l'humble pierre qui recouvrait sa tombe, Robert fit graver quelques vers :

Oh ! vous dont la joue se mouille d'une larme,

Approchez-vous avec un pieux respect,

Ici reposent les restes chers d'un époux aimant,

D'un père tendre, d'uu ami généreux,

1 To James Burness, June 2i, 1783.

2 R. Chambers , tom. 1, p. 80.