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montra une telle hésitation à intervenir et une telle indulgence lorsqu'elle intervint, que ce fut une des grandes causes de la sécession de 1733 *, qui se fit, comme la plupart, dans le sens d'un retour à la sévérité. Mais le véritable créateur du mouvement fut Francis Hutcheson qui lui succéda. Il commença ce que Buckle appelle « la grande rébellion de l'esprit écossais ^. » Employant le premier la langue anglaise dans ses conférences, éloquent, affable et dévoué, son charme de parole et ses qualités d'homme firent passer un enseignement dont l'influence ne tarda pas à être sensible. Partant de principes, non pas théoJogiques, mais métaphysiques , il fonda un système de morale séculière. Il s'adressait à la raison pour trouver des règles de conduite. Cette confiance dans l'entendement humain, si opposée au mépris qu'a pour lui la doctrine calviniste, était nouvelle en Ecosse, et « son apparition forme une époque dans la littérature nationale ^. » « Il forma, dit Lecky, une atmosphère intellectuelle dans laquelle les vieilles conceptions théologiques de Dieu et de l'Univers s'évanouirent silencieusement. Enseignant que les vertus sont des modes de la bienveillance, il éleva les qualités aimables de l'homme à une dignité tout à fait incompatible avec la théorie calviniste de la nature humaine, tandis que ses admirables expositions de la fonction de la beauté dans le monde moral, aussi bien que sa ferme assertion de l'existence et de l'autorité suprême d'un sens moral dans l'homme, frappèrent à la racine le dur ascétisme et le dénigrement systématique de la nature humaine qui avaient si profondément pénétré dans l'église écossaise*. » Cette réhabi- litation des instincts humains, cette affirmation que la nature humaine est plutôt bonne que mauvaise, cet accueil de la beauté, ce retour de la confiance et de la joie dans la vie, sont un changement important dans la marche de l'esprit écossais ^.

Il sortit de là un double courant de libéralisme. Le premier, fortifié par des influences étrangères et surtout françaises , mena bientôt la pensée écossaise jusqu'aux investigations d'Adam Smith et au scepti- cisme de Hume. C'était de beaucoup le plus fort et ce fut aussi le moins actif. Buckle a expliqué d'une façon magistrale comment cette marche de la culture intellectuelle se fit sans affecter la nation , se développant à part et au-dessus d'elle, comment il y eut une littérature sceptique qui ne produisit pas de scepticisme et une philosophie qui

1 Lecky, tome II, p. 538. — Hill Burlon, tome Mil, p. 400.

2 Buckle, tome III, p. 295.

3 Buckle, tome III, p. 293.

4 Lecky. U,

5 \'oir aussi, sur ces premiers mouvements de l'esprit ]jhilosophique, M. A. Espinas, La Philosophie en Ecosse au XVIIl" siècle, dans La Revue Philosophique, février 1881.