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verbales d'objets démontés et presque classifiés. Ce sont les choses saisies dans leur jeu, dans leur travail, et leur aspect vivant. C'est une qualité par laquelle Burns se rapproche des grands esprits à qui rien n'échappe.

Cette parfaite exactitude, unie à son absence de parti pris dans la copie de la vie, a donné à son observation une grande variété. Il accepte les sujets tels que la réalité les lui fournit et tous ceux qu'elle lui fournit à peu près indistinctement. Les plus vulgaires lui sont aussi bons que les plus élevés. Il chante le recueillement religieux et austère du samedi soir, la prière commune et la lecture de la Bible. Mais si, à l'église, il aperçoit un pou sur le chapeau d'une demoiselle toute fière de sa toilette, il s'empare du sujet et chante l'insecte « gros et gris comme une groseille à maquereau ^ ». Presque toutes ces pièces sont écrites sur des incidents réels ; presque aucune n'est un pur effort d'imagination né du désir de produire quelque chose de littéraire. Avec cette disposition, le champ ouvert devant lui était immense. Ne se dérobant à rien de ce que lui présentait la vie, son étude s'est étendue autant qu'elle.

Il a donc représenté dans son entier le monde qui l'entourait. Non seulement les faits principaux, les amours, les morts, les travaux, les angoisses, les fatigues , mais tous les incidents qui se groupent autour d'eux, les superstitions, les joyeusetés de table, les souvenirs patrio- tiques, les aspirations égalitaires, mille scènes de comédie ou de colère. Ici, c'est la prière d'un Ancien hypocrite et vicieux ; là , la querelle de deux curés de la Vieille-Lumière ; plus loin , le portrait d'un médecin de village; plus loin l'énumération des ustensiles d'une ferme; plus loin un petit domestique qu'on engage, une brebis qu'on perd, un enfant illégi- time qu'on salue, une assemblée religieuse, une comparution devant la Kirk-Session , rien ne manque, pas même les aspects plus dignes et plus sérieux de la vie. Emerson a dit' avec justesse : « Les riches poètes comme Homère , Chaucer, Shakspeare et Raphaël n'ont évidemment aucune limite à leur œuvre que les limites de leur vie, et ressemblent à un miroir porté par la rue et prêt à rendre l'image de toute chose créée 2. » Burns était un miroir, plus petit à coup sûr, un fragment de miroir, si l'on veut, mais, dans sa mesure , également capable de tout réfléchir.

A côté de ce don d'exactitude, Burns en avait un autre qui caractérise sa représentation de la vie à un degré plus haut encore : le mouve- ment, l'agitation, la faculté de représenter la vie elle-même, agissante, prise sur le fait. C'est une conséquence des mêmes qualités de fidélité,

1 To a Louse.

~ Emerson. Essaye, The Poet.