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car la vie est remuante, jamais en repos. Mais il faut, pour la prendre au vol et dans l'action qui passe, un merveilleux coup d'oeil et un don spécial. Il y a des hommes, qui, à des degrés différents, comme Ben Jonson et Crabbe, ont abordé l'étude de la vie, avec un désir de conscience et d'exactitude complètes. Ils l'ont observée minutieusement, fidèlement, jusque dans ses manifestations les plus vulgaires. Mais le don du mou- vement, du geste, leur a manqué. Ils ont été dépourvus de cette qualité supérieure qu'ont les hommes comme Shakspeare, Molière ou Cervantes, qu'a UQ homme comme Dickens , et que n'a pas un homme comme Thackeray : le don de la représentation instantanée et complète, et non de la représentation réfléchie et partielle ; le coup d'œil qui ramasse tout un être d'un trait, et non l'attention (jui l'étudié par fragments. Il faut remarquer encore que Ben Jonson, Crabbe et Thackeray étaient des gens cultivés, et qu'il leur était plus difficile de s'oublier dans le fait de saisir la réalité. Cette allure , cette agitation , Burns l'a eue à un très haut point. Tout chez lui est continuellement en action, tout bouge, remue, va, vient, court, gesticule; un acte est à peine indiqué qu'un autre le remplace. On comprend ce que cette rapidité de mouvement, ajoutée à l'exactitude des traits, peut donner d'intensité à ses tableaux. Dans ses pièces , presque chaque mot est un mot d'action. Ses écrits, déjà si nerveux par le fait de leur précision et de leur sobriété, le paraissent encore davantage, comme des gens en marche.

Cette qualité est si répandue chez lui qu'on pourrait en trouver des exemples dans chacune de ses pièces. Cependant, sa Veillée de la Toussaint et sa Foire-Sainte peuvent servir, peut-être mieux que certaines autres, à en donner une idée.

Halloween est la veille du jour de la Toussaint, le jour oii il semble que l'hiver commence, et qu'avec l'accroissement des nuits l'empire des choses mystérieuses s'élargit. Dans les croyances des paysans écossais, c'est le jour oii l'on peut, au moyen de certaines pratiques, voir dans l'avenir. On se réunit, ce soir-là, pour accomplir les rites et les opéra- tions qui doivent ouvrir les secrets de l'année qui va venir. Le sujet de la pièce est une de ces soirées. C'est une pièce toute chargée de supers- titions locales, et à laquelle Burns lui-même a mis de nombreuses notes explicatives, dans sa première édition destinée uniquement aux gens du pays. Mais une fois qu'on a pris connaissance de ces superstitions, il est impossible de désirer une description plus gaie, plus vivante, plus remuante. Tout est en agitation. Si on soulignait les substantifs et les adjectifs qui désignent un mouvement, on soulignerait la moitié des mots. En même temps aucun morceau ne peut mieux faire juger à quel point cette poésie est faite d'exactitude.

La pièce s'ouvre par une charmante strophe, féeiique et légère, toute brillante de clair de lune et qui fait penser aux passages de Shakspeare