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tord en mouvements forcenés, n'est-ce pas Rabelais? La gaîté et la bouffonnerie dans le rire, avec la tristesse et les larmes dans l'observa- tion, n'est-ce pas l'étrange contraste de Dickens? La raillerie pleine de bonhomie et l'observation souriante, n'est-ce pas Goldsmith?Le rire niais et finaud, avec l'observation intéressée et grossière de la vie, n'est-ce pas Sancho Pansa? Ne serait-il pas plus facile, en resserrant les deux termes mieux que nous ne pouvons le faire en quelques mots, de trouver la définition exacte de tant de talents ou de génies d'humo- ristes? Qu'on ajoute que la précision croîtra, si on marque sur quoi porte la raillerie, si c'est sur la vie elle-même, comme dans les humo- ristes philosophiques tels que Carlyle ; ou sur des détails isolés de la vie, comme dans les humoristes de mœurs tels qu'Addison ; si l'on détermine enfin à quoi s'attache l'observation, si c'est à des vices et à des méchancetés comme dans Swift ; à des attitudes et à des gestes, comme dans Sterne ; à des misères et à d'humbles souffrances, comme dans Dickens ; à de délicates nuances de sentiment, comme dans Charles Lamb ; à des replis d'égoïsme et d'hypocrisie, comme dans Thackeray ; à de simples travers et ridicules, comme dans Addison. Ainsi, on verra peu à peu que cette définition, si vague au début, se ramasse, se resserre, jusqu'à saisir étroitement chaque individu de cette foule disparate d'humoristes qu'elle contient cependant tout entière.

Si l'analyse qui précède est exacte, nous avons en main ce qu'il nous faut pour apprécier et classer l'humour de Burns, puisque nous connais- sons la qualité de son rire, celle de son observation, et que nous savons que, derrière celle-ci, il y a une large et vraie sympathie.

Ce qui frappe tout d'abord dans l'humour de Burns, c'est la gaîté, et ce n'est pas de la gaîté à fausses enseignes, comme il arrive souvent chez les humoristes. L'enseigne, chez eux, ne fait pas la marchandise. A la porte des uns, s'agite une affiche burlesque, et on entre dans une maison oîi sont assises des songeries mélancoliques. A celle des autres, pend décemment une affiche de mine grave ; entrez, les bouffonneries et les arlequinades vous assaillent, vous gouaillent et vous houspillent. Ici, le signe et l'auberge vont de pair ; l'enseigne du rire annonce bien la gaîté. Et quelle gaîté ! saine, bruyante, contagieuse, turbulente, pleine d'entrain. Le plaisir produit par la plupart des humoristes est intellectuel et une pure jouissance du cerveau. Ici c'est une gaîté presque physique qui s'empare de tout le corps et le grise de rire. C'est le rire matériel de Falstaff et de Rabelais, mais réduit à des proportions modérées et moyennes. Il n'est pas démesuré et épique ; il est de taille ordinaire, mais il est bien du même sang, et, comme eux, heureux de vivre.

Aussi , la raillerie de Burns , sauf dans quelques cas personnels de colère, est-elle sans méchanceté et sans fiel. C'est une gausserie pleine d'une jovialité et d'une bonhomie presque amicales. Ceux mêmes qui en